Angèle et @preparezvouspourlabagarre réunies dans un livre : #MeToo au-delà du hashtag
ça tchatche avec Rose Lamy aka @preparezvouspourlabagarre
En octobre 2022, il y a un anniversaire qu’on n’allait pas zapper : celui de #MeToo, quand des millions de femmes ont témoigné pour dénoncer les violences patriarcales. Cinq ans plus tard, des féministes très stylées font le point avec le livre Moi Aussi, qui interroge les avancées du mouvement dans notre société. On en discute avec l’autrice et militante Rose Lamy (créatrice de @preparezvouspourlabagarre et #MusicToo) , qui a coordonné ce bouquin au casting 25 étoiles.
Comment t’es venue l’idée de faire ce livre ?
Avec mon éditrice, Jeanne, on avait bien noté que les cinq ans de #MeToo arrivaient. Et que c’était l’occasion de faire un bilan de ces dernières années (d’ailleurs on parle d’un #MeToo de 2017 mais ça a commencé bien avant). J’avais envie de revenir à une analyse très concrète, à l’échelle de ce que j’avais pu entreprendre sur #MusicToo par exemple. De voir ce que représentent ces initiatives, si elles ont été politisées, et aussi de donner la parole à des points de vue qui ne sont pas les miens.
C’est vrai que c‘est un ouvrage collectif avec des profils de femmes très variés. Pourquoi c’était important pour toi de les réunir ?
La prise de conscience de #MeToo a été un point de départ. Mais depuis, il y a eu tout un travail sur le féminisme intersectionnel. Des ramifications se sont créées depuis cinq ans et j’avais envie de les explorer, mais je ne pouvais pas m’en saisir moi-même. Je peux relayer des paroles en tant qu’alliée, par exemple sur la transidentité, mais ça n’est pas à moi de raconter ce qui se passe.
C’est pour ça que j’ai fait appel à Christelle Murhula, qui avait fait des enquêtes sur les médias féministes, à Rokhaya Diallo pour parler de Tarana Burke (la vraie lanceuse du mouvement MeToo en 2007 NDLR), avec une approche plus mondiale de #MeToo. À Camille Froidevaux-Metterie, qui inscrit cette vague à l’intérieur d’un mouvement qui a commencé bien avant. À Angèle, une des plus grandes artistes francophones, qui a écrit l’hymne du #MeToo francophone, et qui a été confrontée à beaucoup de sexisme. À Elvire Duvelle Charles aussi (@clitrevolution), qui parle du tribunal des réseaux sociaux, qui est son sujet d’expertise. À Louz, qui porte le hijab et qui est une militante féministe qui a fait un super article sur le femonationalisme (l’instrumentalisation du féminisme a des fins racistes). Et bien sûr à Lexie (@agressivelytrans) pour parler d’un sujet au cœur des débats féministes actuels sur la transphobie, et à Reine Prat, sur la résistance des milieux culturels à #MeToo.
Comment as-tu géré la construction d’un livre à plusieurs autrices ?
Ça s'est fait sur fond de mon déménagement à Bruxelles, donc beaucoup par téléphone. J’ai appelé tout le monde pour présenter le projet et qui en ferait partie, parce que c’est important de pouvoir consentir avec tous les éléments en main. Après, elles n’ont pas su ce que les autres faisaient en détail avant les premières épreuves. C’était intéressant parce que sans se concerter, plein de choses traversent tous les textes : le souci de rappeler que c’est Tarana Burke qui a inventé #MeToo, le rapport à la justice, les angles morts qui sont un peu partagés... C’est bien que ça soit plusieurs petites nouvelles à l’intérieur d’un livre collectif, qui a fait sa cohérence tout seul en fait.
En plus d’être autrice, tu es spécialisée dans l’analyse des discours médiatiques. De ton point de vue d’experte, comment est traité #MeToo en 2022 ?
En ce moment on voit des articles qui disent “plus rien ne sera comme avant”. Certes, il y a eu beaucoup de changements depuis cinq ans. On a eu des enquêtes : Mediapart fait un travail fantastique, Neon avec #MusicToo, Libé sur l’affaire PPDA qui a mis les accusatrices en Une... Effectivement d’un point de vue médiatique, ça bouge. Mais ce que je regrette, c’est que tous ces changements reposent sur des initiatives individuelles.
Pour prendre l’exemple de #MusicToo, c’est parce qu’on s’est tapé le travail de récolter plus de 300 témoignages en 70 jours, de faire un formulaire pour se protéger de la diffamation, d’organiser ces témoignages et de les donner comme sources à des médias, que des enquêtes sont sorties et qu’il y a des procès qui vont commencer. Est-ce que ça n'aurait pas dû venir du haut ? Comme le dit très bien Reine Prat dans son texte, #MeToo c’est une guérilla. Parce que c’est du corps à corps, c’est tous les matins “on se lève on y va”, il y plusieurs fronts en même temps… C'est pas du tout la “gentille vague” qui aurait changé les mentalités. On les change, mais au prix d’un travail militant et d’un coût émotionnel et il faut qu’on en parle. Ça avance, mais pas grâce au système.
Cinq ans après #MeToo, on assiste à des phénomènes inquiétants pour le féminisme et les libertés fondamentales dans le monde : les attaques sur l’avortement aux Etats-Unis, la victoire des post-fascistes en Italie, le procès Heard VS Depp… Serait-on en train d’assister à un backlash qui combat nos avancées ?
Backlash au départ, c’est un livre de Susan Faludi qui analyse le système étasunien. Il y a bien eu une vague aux Etats Unis, notamment avec des procès, et aujourd’hui les attaques sur l’avortement pourraient s’apparenter à un retour de bâton. Mais en France… C’est la question que je pose dans l’introduction : pour qu'il y ait un backlash, il faut qu' il y ait une vague. Et je n’ai pas l’impression qu’on l’ai eue ? Ou alors, notre backlash a commencé dès le lendemain de #MeToo. J’avais listé des réactions : immédiatement, il fallait “ faire attention aux dérives”, Eric Brion a porté plainte contre Sandra Muller, la créatrice de #balancetonporc, quatre jours après son lancement. En janvier 2018, on a eu la tribune du “droit à importuner”, les Césars avec Polanski, les chiffres de féminicides qui montent, Darmanin, Dupont-Moretti, Abad… La France a serré la vis dès le début car c’est un pays conservateur et très réactionnaire, même s'il se rêve en pays des Lumières. Et c'est pour ça que les gens sont remontés au front avec une déclinaison d’initiatives féministes.
C’est ça aussi, le sens d'un ouvrage collectif sur le sujet : on a nos spécificités, nos points de vue situés, nos affects, nos réalités. On a écrit “moi aussi” mais maintenant, j’ai l’impression qu’il faut qu’on s’organise. Parce que l’empilement des initiatives fait qu’on n’arrive plus a suivre. Et à force d’être toujours la tête dans le guidon, on manque un peu de hauteur pour voir les victoires (comme celle de Sandra Muller) et se dire “en fait c’est cool, ça va”. Vraiment, je pense que ça va mieux. Mais je voulais interroger, à quel prix ?
Moi aussi : MeToo cinq ans après, au-delà du hashtag sort aujourd'hui 12 octobre aux éditions JC Lattès (19 €).
Interview par Claire Roussel