Après l'Arnaqueur de Tinder et Inventing Anna, vous allez adorer Infernet
Internet is a crime scene
Infernet is : une chronique-web-série juste géniale, qui analyse les faits divers et les légendes urbaines du monde d’Internet et leurs stupéfiants impacts sur nos vies IRL. Après L’Arnaqueur de Tinder et Inventing Anna : welcome dans notre nouvelle lubie vidéoludique, à binger sans modération. Vie réelle versus vie en ligne, avatar, influenceur·euses, arnaques, crimes et catfish : on en parle façon debrief-philo dans cet article.
Internet et les réseaux : une histoire d’influence et d’influenceur·euses
On emploie les mots “influenceur-influençeuse” à tort et à travers, mais qu’est-ce que ça veut dire, dans le fond ?
L’essayiste et créateur d’Infernet, Pacôme Thiellement, nous propose justement de revenir aux origines du terme : il explique que le mot “influence” faisait initialement référence à un “fluide provenant des astres et agissant sur la destinée”. WTF, vous dites-vous ? Et à raison, puisqu’aujourd’hui, on parle d’influence pour “définir l’action de la volonté de quelqu’un sur la volonté de quelqu’un d’autre”. Un peu comme quand cette personne que vous suivez sur Insta vous recommande une crème de jour et que vous courez l’acheter sur votre pause-déj’.
Mais ce qui est intéressant, c’est que selon l’auteur, la notion d’influence n’a rien perdu pour autant de son caractère magique. Car, pour le dire autrement, les raisons pour lesquelles les influenceur·euses (ou autres personnes influentes) exercent sur nous un pouvoir ne sont pas vraiment explicables rationnellement.
Si ça nous fait penser à Anna Delvey (qui a dupé tout le monde sans que personne ne puisse expliquer comment) ou à Simon Leviev (qui a usé de son charisme pour escroquer des personnes qui pensaient être en couple avec lui) ? Clairement, oui. Le rapport avec les affaires étudiées dans Infernet ? On vous explique.
De la vie rêvée à la vie réelle : Gabby Petito versus Anna Delvey-Sorokin
Gabby Petito s’est faite connaître en racontant sur Insta son roadtrip/histoire d’amour en mode sac à dos et caravane à travers les USA.
Sa vie, comme celle de beaucoup d’influenceuses lifestyle, avait l’air d’être un véritable rêve : paysages parfaits, baisers sur fond de soleil couchant, baignade dans une rivière sauvage et on vous en passe… De quoi faire baver celleux qui, derrière leurs écrans, mènent une vie “normale” en mode taf-vacances-toutes-les-12-semaines (coucou).
Bon. Le souci, sans vouloir vous spoiler, c’est que la vie de Gabby Petito ne ressemblait pas vraiment à ce rêve. Et que le monde entier a commencé à s’inquiéter pour elle précisément au moment où elle a arrêté de poster en ligne - jusqu’au crash final et dramatique, qu’on vous laisse découvrir dans cet épisode.
Le rapport avec Anna Delvey (aka Sorokin) ? Si Gaby Petito s’est retrouvée piégée à devoir donner l’image d’une vie parfaite "quoi qu'il en coûte”, Anna Sorokin, elle, a choisi d’utiliser les réseaux comme un outil pour donner vie à son avatar, et ainsi arnaquer tout le gratin-mondain de New-York.
Dans les deux cas, il y a un piège. Celui de l’image, du narratif que l’on crée autour de sa vie en ligne et des répercussions que ça peut avoir sur le réel : que le piège se referme sur soi ou sur les autres, la frontière est mince entre la réalité et la fiction.
L’avatar, ou l’art de se montrer sous son meilleur profil
Petit point sémantique again avec l’auteur d’Infernet : « Avatara est un mot sanskrit signifiant la descente ou l’incarnation, sous forme humaine ou animale, d’une divinité dans le monde ».
Vous voyez où on veut en venir ? Ce qu’il y a d’intéressant avec ce terme dans nos vies connectées en 2022, c’est que les avatars sont des espèces de divinités (coucou les influenceurs), de perfections (coucou les versions fantasmées de nous-mêmes), auxquelles on a tellement envie de croire qu’on finit par en perdre le contact avec le réel.
Alors même que ces avatars peuvent s’avérer être des pièges-arnaques façon Simon Leviev (#meilleurfauxprofil).
De l’escroquerie et du catfish : Manti Teo’s versus Simon Leviev
Simon Leviev. Ce nom est sur toutes les lèvres depuis la sortie du docu L’Arnaqueur de Tinder. Si vous avez loupé le train de ce maxi-succès Netflix, on vous pitche le truc en deux mots : cet arnaqueur a vécu pendant des années grâce à des escroqueries sentimentales en mode pyramide de Ponzi, et a volé des dizaines de milliers d’euros à plusieurs femmes à travers le monde.
De son côté, Manti Teo’s, dont l’histoire est analysée dans le troisième épisode d’Infernet, est un footballeur étatsunien d’origine polynésienne. Au début des années 2010, il rencontre sur Facebook une femme du nom de Lenay Kekua, polynésienne comme lui, croyante, comme lui, fan de sport, comme lui. Ces deux-là se lancent donc dans une histoire d’amour qui se joue exclusivement par messages interposés : ils ne se sont jamais rencontrés (et ne se rencontreront jamais), mais ils se parlent chaque jour. Tant et si bien que le footballeur officialise sa relation dans la presse et que cette histoire de cœur bouleversante (vous verrez pourquoi) fait les choux-gras des médias people aux USA.
Sauf que. Lenay Kekua n’a jamais existé. Et qu’un jour, à la faveur d’une enquête journalistique, Manti Teo’s réalise qu’il a été en couple pendant des années… avec un avatar, justement. Il ne s’agissait pas (contrairement à l’affaire Simon Leviev) d’une arnaque pour lui soutirer des tunes : c’est plutôt l’histoire (malheureusement banale) d’un catfish, aka d’une personne qui a cherché à se faire aimer de quelqu’un·e d’autre en prenant une fausse identité en ligne. Vous imaginez la douche froide.
Car comme le souligne Pacôme Thiellement : « Même si un avatar n’est pas authentiquement une personne, les émotions que cet avatar nous procure sont réelles. Et même si notre relation avec lui est une fiction, toutes les souffrances qui naissent de cette relation sont réelles. »
Comment, alors, pour les victimes de Simon Leviev ou pour Manti Teo’s, faire le deuil d’une chimère, du fait d’avoir aimé quelqu’un·e qui n’a jamais existé ?
Un petit mot pour finir ?
Loin de nous l’envie d’être moraliste-vieux-jeu en mode “Internet c’est mal, m’voyez”. Mais si on adore cette web-série, c’est parce qu’elle questionne quelque chose de profondément contemporain que l’on n’arrive encore trop peu à analyser : la porosité entre nos vies en ligne et nos vies “en vrai”.
True fact : Instagram n’est pas réel et palpable (comme une table ou une chaise), mais 40% des utilisateur·ices qui se trouvent « peu séduisant·es » estiment que ce sentiment est lié en partie à leur utilisation de ce réseau social, selon une étude citée par Pacôme Thiellement. Bref. D'irréel à IRL : fake things versus true feelings.
On vous laissera donc méditer sur le sujet en regardant cette chronique géniale (le premier épisode sur Marina Joyce vaut aussi vraiment le détour) - dont un nouveau numéro est à découvrir chaque mois.
Et d’ici là, kiffez autant que vous le voulez en ligne, mais n’oubliez pas de débrancher de temps en temps aussi <3.