Barbie, actrice de cinéma
C’est pas ce que vous croyez
Bon, on avait hâte, mais on aurait pu s’y attendre. Barbie, c’est 58 millions de poupées plastiques vendues chaque année et des décennies à entretenir un idéal corporel littéralement inatteignable. C’était peu probable de prendre l’un des concepts les plus consuméristes et patriarcaux au monde et d’en faire un film réellement subversif, féministe jusqu’au bout, sans finir dans le girl power individualiste que Mattel -le propriétaire de Barbie- aime tant valoriser. Même quand on est une réalisatrice talentueuse et intelligente comme Greta Gerwig et qu’on est entourée d’une sacrée team. Bref, on est allées voir Barbie et malgré de beaux efforts, le résultat nous laisse un goût de sucre très industriel sur la langue.
Techniquement, c’est inégal
Grosse déception : niveau cinématographique, c’est moyen. Les dialogues sont souvent top, les costumes et le set ne déçoivent pas malgré la pression énorme qui pesait sur le film (qui a réussi à provoquer une rupture mondiale de peinture rose fuschia, svp). Mais c’est au niveau du rythme et du scénario qu’on galère. Le sujet Barbie est complexe : cette figure stéréotypée mais aimée peut-elle être une réelle source de changement par la puissance et la positivité ? Gerwig n’a pas peur d’afficher les paradoxes, et c’est l’une des forces du film. Mais elle veut couvrir tellement de terrain que les événements sont précipités à mort. On se retrouve avec un rythme en patchwork qui n’aide pas à accrocher.
Côte acting, c’est aussi mitigé : Margot Robbie et Ryan Gosling d é t r u i s e n t le game, et on aime voir le casting s’investir à fond. Sauf pour les deux humaines principales, campées par America Ferrera et Ariana Greenblatt. C’est sûrement plus dû à une mauvaise écriture qu’au jeu des deux actrices, mais leurs personnages ne sont absolument pas convaincants. Dommage, car elles incarnent les rôles principaux après Barbie et Ken. Thank God Greta, le film est souvent drôle, parfois hilarant, mais ça ne rattrape pas ces défauts.
Un féminisme qui ne pète pas les murs
On vous le disait : Gerwig s’éclate à exposer les paradoxes de Barbie, et plus encore ceux du modèle ultra stéréotypé, blanc et mince incarné par Margot Robbie. Le patriarcat, la virilité et les dirigeants de Mattel en prennent plein la tronche.
Barbie énonce des messages féministes basiques : les hommes adorent bénéficier du patriarcat qui reste très présent en 2023, le harcèlement est partout, les femmes sont soumises à des injonctions totalement contradictoires, les entreprises sont prêtes à tout faire pour de l’argent… Mais bon, quand on voit l’état du monde, c’est bien que les bases soient transmises avec humour via un blockbuster.
Par contre, même si on adore voir Ryan Gosling s’éclater dans le rôle de Ken, l’importance qui est accordée à son personnage et à ses états d'âme dépasse souvent celle accordée à Barbie. Dommage dans un film qui cherche à recadrer l’ego masculin. Et malgré ses messages importants, d’autres problèmes diluent le féminisme de Barbie. On est cependant contentes de voir l’effort consacré à parler d’autres narratives que celles des femmes blanches.
Au final, à qui ça rapporte ?
Un des messages de Barbie porte sur la force du collectif, genre pour résister à une bande de mascus un peu trop confiants (on ne vous spoile pas plus). C’est un point central du féminisme qui est une lutte sociale et politique, donc collective, ce qu’on a tendance à zapper en 2023. Sauf que cette leçon est brouillée par les dernières minutes du film, qui véhiculent l’idée qu’un·e individu·e doit se concentrer sur son épanouissement personnel pour se détacher des carcans oppressifs. Une approche individualiste et néolibérale du féminisme qui lui fait discrètement perdre son efficacité. Ok, les Barbies du film sont déterminées, pleines de bonne volonté et n’hésitent pas à mettre une bonne droite aux relous. Mais dans la vraie vie, elles n’existent pas : ce sont juste des poupées qui servent les buts de Mattel, ce que le film voudrait nous faire oublier.
En parlant de Mattel -possédé par un homme, obviously- l’entreprise s’en tire sacrément bien et ce même si ses dirigeants sont 100% ridicules dans le film. Parce que de notre côté de l’écran, ils s’en mettent plein les poches et passent pour les gars avec de l'autodérision qui financent “l’empowerment des femmes”. Mais rappelons-le : ils n’ont jamais accepté de dire que Barbie était féministe, et ont diversifié leurs poupées uniquement quand ils ont commencé à perdre de la thune en 2015. Gerwig a beau dénoncer cet opportunisme dans le film, le fait est qu’ils vont en bénéficier IRL. Cherry on top, le marketing très agressif autour du film se fout du moindre enjeu social, notamment via les partenariats bien rentables que Mattel a mis en place. L’entreprise collabore notamment avec Airbnb, qui précarise des milliers de personnes dans le monde en faisant monter les loyers, et Forever 21, marque de fast fashion régulièrement accusée d'exploitation.
Bilan : on se réjouit que des messages féministes soient transmis de façon plutôt convaincante grâce à l’équipe derrière le film. Mais si on dézoome et qu’on observe les intentions qui ont permis sa production, on se demande quelle cause Barbie fait avancer le plus. Et on n’est pas sûres que ça soit la bonne.
Claire Roussel