Comment le syndrome de Trinity a shapé notre enfance
et pourquoi on lui dit ciao
C’est quoi le point commun entre une sorcière stressée par ses notes, une combattante en trench noir, une elfe de Mirkwood et une trigresse pro de kung-fu ? Bah rien, sauf le Syndrome de Trinity. Un nom stylé pour désigner un mécanisme claqué, théorisé en 2014 par la journaliste Tasha Robinson. Elle a réalisé que la plupart des personnages féminins “brillants” servaient uniquement de sidekicks à des héros masculins, souvent bien moins compétents qu’elles. Wait, what ?
Hermione dans Harry Potter, Trinity dans Matrix, Nala dans le Roi Lion, Annabelle dans Percy Jackson… Même si elles sont dotées de qualités morales, physiques ou intellectuelles largement supérieures à la norme -ou au moins aux mecs de leur histoire- ces meufs finissent systématiquement par occuper un rôle narratif de second plan. En ayant besoin d’être secourues, en étant réduites au rôle d’amoureuse motivante, en disparaissant avant le dénouement des intrigues… Elles sont souvent introduites via une scène ultra badass, mais ne retrouvent pas ce niveau après. Car peu importe leurs capacités, elles n’ont jamais l’action ultime qui sauve tout le monde, contrairement aux héros masculins, souvent des “élus” qu’elles soutiennent. Si ce trope sexiste disparaît peu à peu, il se retrouve dans une tonne de films fantastiques et d’action qui ont marqué nos enfances et adolescences. Avec quelles conséquences ?
Des messages claqués
Heureusement, toutes les histoires célèbres de notre jeunesse ne véhiculent pas ce stéréotype, mais il était assez présent pour marquer nos représentations et envoyer des messages forts. Par exemple : si vous êtes une fille et que vous voulez être proche des hommes, il faut vraiment être au top de vous-même. Mais attention, sans trop exprimer votre supériorité, au risque de passer pour une peste comme Hermione au début d’Harry Potter. D’ailleurs, cette incitation à se surpasser -et sous-entendu les autres filles- pour être intégrée favorise le Syndrome de la Stroumphette, dont on vous parlait ici.
Le Syndrome de Trinity encourage des standards genrés complètement inégaux dans la vraie vie, où les femmes sont comparés à des modèles géniaux, et les hommes à des modèles médium voire incompétents, mais qui sont ok parce qu’ils sauvent quand même tout le monde à la fin. Pour justifier ce manque total de cohérence, les fictions concernées adorent utiliser un autre trope : celui de l'Élu. Choisi par des prophéties complètement random pour sauver le monde d’un grand danger (Voldemort/la Matrix/Cronos/Tai Lung…), il hérite souvent de ses capacités extraordinaires, et les compétences qui lui manquent son rattrapées par une femme, ou parfois avec l’aide un mentor racisé #Morpheusbonsoir.
Cherry on the cake, les « Trinity » sont souvent placées dans des rôles d’amoureuses ou de soutien émotionnel pour ces héros. Leur statut dépend donc de leur relation avec des hommes. Coucou Lauriel dans the Hobbit, une guerrière elfe d’élite qui tombe folle amoureuse d’un nain en deux interractions et lâche toute sa vie pour lui.
La douille est double : on nous donne des objectifs ultra galères à atteindre et si jamais on développe ces capacités, il faut qu’elles soient exploitées pour arranger les hommes de notre entourage. Faudrait pas trop qu’on mette notre puissance au service nous-même ou des autres meufs, quand même.
Ça bouge…?
Quand on y fait gaffe, on réalise des situations de plus en plus absurdes. Genre avec Nala du Roi Lion, qui gagne systématiquement ses combats face à Simba et est entourée d’un gang de lionnes, mais qui a besoin d’aller le chercher après des années à crever de faim sous le règne de Scar. Ou quand Tigresse dans Kung Fu Panda doit céder sa vocation après une vie d’entraînement d’élite à un panda qui a zéro formation, sous prétexte qu’il a atterri devant une tortue… Pour plus d’épiphanies qui vous feront osciller entre le fou rire et la consternation, go checker cette liste.
Justement, s’en est tellement gros que le trope est trop évident pour 2023. Déjà dans Les Reliques de la Mort, Ron dit à Harry de ne pas partir sans Hermione à la recherche des Horcruxes car « On ne tiendrait pas deux jours sans elle », ce qui convainc Harry. Un manque de compétences légèrement embêtant pour celui dont la survie de l’humanité est censée dépendre.
D’ailleurs, la trilogie cultissime qui donne son nom au concept, Matrix, a corrigé le tir dans son sequel de 2021. Dans le final de 2003, Trinity meurt sacrifiée avant la fin et laisse Néo résoudre l’intrigue seul, en se sacrifiant lui aussi mais avec toute la gloire qui va avec. Un biais rattrapé dans Ressurections, où les deux personnages sont unis jusqu'au bout et où Trinity est plus puissante. Bon le message du film aka « l’amour conquiert tout » reste incarné par ce couple hétéro, blanc et cis, mais c’est un progrès.
Et bien sûr, de plus en plus de blockbusters mettent des femmes géniales en personnage principal, comme Captain Marvel. Mais on aimerait que les grosses prod’ hollywoodiennes -qui ont une énorme influence sur notre culture- fassent mieux : au-delà de ne pas être réduites à des sidekicks ou des amoureuses, on aimerait ne pas avoir besoin d’être “plus fortes que tout et tout le monde” pour mériter des rôles. On veut des héroïnes nuancées, galériennes, brillantes, vicieuses, honnêtes, paumées, ambitieuses… Bref, être vues, et représentées, comme des personnes.
Claire Roussel