« Histoire de France au féminin », la BD qui rend leur place aux femmes
On papote avec Sandrine Mirza et Blanche Sabbah
Les femmes ont toujours été partout. Merci d’être venu·es à notre TED Talk ! Non mais for real, contrairement à ce qu’on croit, elles ont été guerrières, commerçantes, reines ou artistes depuis des millénaires. Avec de sacrés bâtons dans les roues, certes, mais bien plus que les cours d’Histoire nous l'ont enseigné : on pourrait dire que la contribution de la moitié de la population a été virée de l’histoire de France. Pour remettre les pendules à l’heure, l’historienne et autrice jeunesse Sandrine Mirza s’est alliée à l’autrice BD Blanche Sabbah (aka La Nuit Remue). Cette collab’ donne lieu à la bande-dessinée ultime de la rentrée : Histoire de France au féminin. Tapage les a rencontrées pour parler invisibilisation, éducation et rébellion féminine.
Comment avez-vous eu l’idée de collaborer pour ce projet ?
Sandrine Mirza : J'avais déjà écrit sur l’Histoire des femmes. Avec les éditions Casterman, nous voulions faire une histoire de France en évitant un enchaînement de biographie, donc nous avons pensé à une BD. Il nous fallait la bonne personne pour dessiner et on est tombés sur Blanche !
Blanche Sabbah : Le sujet correspondait à ce que je défends car je travaillais déjà sur les femmes et l’Histoire, notamment via les mythes. J’étais intimidée à l’idée de faire un livre historique sur le monde réel. Mais quand on m’a annoncé que c’était avec une historienne confirmée, j’ai accepté tout de suite.
Sandrine Mirza : Et Yannick Ripa, historienne et enseignante qui travaille sur les femmes, a écrit notre prologue et relu l’ensemble du livre pour nous assurer au maximum de sa véracité historique.
Les personnages de votre BD remarquent que les femmes retenues par l’Histoire sont majoritairement nobles ou riches. Comment avez-vous mis les femmes moins favorisées en avant ?
B.S : On ne voulait pas entretenir le mythe qu’il y avait des hommes partout et seulement quelques femmes extraordinaires, mais parler de toutes les femmes de la société. Par exemple en dédiant des pages aux métiers qu’elles occupaient au Moyen Âge, ou pendant l’Ancien Régime avec les dentellières, les couturières, les paysannes… On a fait des portraits car il en faut, mais on rappelle que 80% des femmes, anonymes car venant du peuple, faisaient les activités de nos pages-métiers.
S.M : En parlant du travail du textile, ce sont les hommes qui ont décrété quels étaient les arts majeurs : la peinture, la sculpture... Bizarrement, c’était ceux qu’ils pratiquaient et qu’ils empêchaient les femmes de pratiquer. Alors que la dentelle, par exemple, est très complexe, mais ça a été décrété comme mineur. Donc ces pratiques sont moins retenues malgré leur existence. Parler de ces femmes anonymes, c’est rendre une objectivité à l’histoire.
Quelle est la découverte qui vous a le plus étonnées quand vous avez mené vos recherches ?
S.M : Finalement, on s’est rendu compte que les femmes sont absolument partout, très nombreuses dans toutes les activités : elles ont combattu, dirigé des seigneuries, été des reines… Comme le dit Yannick Ripa : dans une société mixte, comment aurait-il pu en être autrement ? C’est juste que l’Histoire les a occultées. Je les admire toutes, mais j’ai été très inspirée par des femmes comme Christine de Pizan au Moyen Âge, qui ont pris la plume pour dénoncer leur condition.
B.S : J’ai été très étonnée d’apprendre l'existence d'Elisabeth Jacquet de la Guerre, qui était là un peu avant Mozart. Aussi, que sous l’Ancien Régime (une époque où l’éducation des filles consistait à se rendre désirables pour trouver un mari) plusieurs femmes scientifiques ont inventé des théorèmes et nommé des planètes. Je n’ai pas arrêté d’être étonnée, notamment par la précocité du féminisme.
Effectivement, le livre démontre que des femmes se sont dressées contre la domination masculine depuis plus longtemps qu’on ne le pense.
B.S : Par exemple, Marie de Gournay écrit « Égalité des hommes et des femmes » en 1622. On a tendance à penser que ça a commencé avec les suffragettes anglaises, mais des femmes ont pris la plume il y a longtemps pour dire « notre condition est abominable ». Je trouve ça fou que ça ne soit pas plus étudié : à toutes les époques, elles se sont mobilisées.
S.M : C’est important de le savoir, car avoir des bases solides permet de bien se construire. C’est valable pour les mouvements comme le féminisme ! Notre livre s’adresse aux jeunes générations, pour les aider à comprendre le monde d’aujourd’hui et argumenter. Et surtout, pour montrer qu’il peut y avoir des avancées et des reculs pour les droits des femmes. C’est en sachant ce qui s’est fait avant qu’on peut avancer plus vite et se projeter dans l’avenir.
Votre BD démonte de nombreux clichés : « *La chasse aux sorcières était au Moyen Âge* », « *Les femmes n’ont pas travaillé* »... Est-ce qu’il y en avait un que vous aviez particulièrement envie de déconstruire ?**
S.M : Souvent, il y a une « légende noire » des reines, que j’avais moi-même tendance à reproduire. Une vision totalement négative de certaines reines comme Catherine de Médicis, Frédégonde ou Brunehaut, dites « folles furieuses » ou « complètement machiavéliques »... Alors qu’elles faisaient juste exactement comme les hommes. Je voulais déconstruire l’idée que les femmes au pouvoir sont pires, amènent la faillite, la jalousie, les catastrophes… Elles ont surtout du caractère et ne font ni plus ni moins.
B.S : De mon côté je voulais vraiment souligner que la condition des femmes n’était pas linéaire. Que ce n’est pas « avant c'était terrible et maintenant ça va de mieux en mieux grâce aux progrès de la société éclairée ». C’est hyper intéressant de voir que les Gauloises avaient plus de droit que les Gallo-romaines, que les Wisigothes étaient bien mieux loties que les dames de la Cour sous Louis XIV... Nos droits ne sont jamais acquis. Ce qu’on a gagné de haute lutte peut être retiré car si on ne change pas les fondements de la civilisation, qui sont que les hommes prennent les décisions, qu’elles nous soient favorables ou défavorables, on est toujours à la merci de leur degré de progressisme.
La majorité des femmes dont vous parlez dans la BD restent peu connues aujourd’hui. Comment expliquer et lutter contre cette invisibilisation ?
S.M : L’éducation nationale obligatoire est née au XIXème, qui est probablement le siècle le plus misogyne qui ait jamais existé. Les hommes de cette époque ont établi les programmes scolaires en imposant leurs préjugés à l’Histoire. Puis les instituteurs ont répandu leur parole et invisibilisé les femmes. Mais je pense que les choses bougent beaucoup, même s'il y a encore beaucoup à faire. Les manuels scolaires intègrent de plus en plus de femmes, on remet George Sand au bac… Les professeurs le font, mais selon leurs sensibilités. Donc ça va prendre du temps.
B.S : Bien sûr, c’est important que les institutions s’emparent du sujet. Mais je ne sais pas si vous avez vu notre nouveau ministre de l’Education Nationale, ça n’est pas la direction qu’on va prendre*… Il faut éduquer, informer, sensibiliser, et j’ai envie que notre livre aide à ça. Les élèves peuvent aussi faire circuler les connaissances via les œuvres choisies à présenter au brevet et au bac de français. Il y a aussi la réhabilitation dans l'espace public : j’ai commencé à reconnaître des noms de femmes dans les rues et les monuments après avoir écrit le livre. J'ignorais que Suzanne Necker avait fondé l'hôpital Necker ! Il y a des traces de ces femmes, qu’on ne voit pas si on ne cherche pas. Mais si on fait un effort conscient, elles existent dans nos vies.
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Claire Roussel