Dans les pas de Despentes

 

Quelques 13 ans après la sortie du mythique King Kong Théorie, Chloé Delaume reprend et revitalise la verve vénère et fâchée de celle qu’on ne présente plus à personne : le fameux "j’écris de chez les moches, pour les moches (...), toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf "de Virginie Despentes, se transforme sous la plume de l’autrice en un manifeste réactualisé pour celles qu’on appelle souvent aussi aujourd’hui les “mauvaises féministes”. Parce qu’un mouvement comme #MeToo nous a permis de prendre conscience que la lutte était l’histoire de nos vies et de nos quotidiens. Mais qu’il est bien difficile pour autant d’ajuster parfaitement nos manières de vivre avec ce que sont nos idées.

 

“J’écris de chez les féministes hétéros qui se maquillent (...), de chez les connasses qui font du shopping. Les adoratrices du vintage, les nostalgiques boudoir cocotte, les esthètes de la penderie, les suicidaires de carte bleue hors solde, celles qui parfois ne se lèvent que pour pouvoir s’habiller. Celles qui passent pour l’ennemie, qu’elles soient lesbiennes ou pas, dans n’importe quel milieu un chouïa militant à cause du sursapage.”

 

Secrets de bonne femme, pages 23 à 28


Le retour de Thelma et Louise

(et les autres)

 

Pour Chloé Delaume, c’est bien parce que nous partageons la conscience de ce traquenard qu’est le fait d’être une femme qu’il nous faut nous unir et faire un bon gros tapage. Mais pas seulement : ce qu’il nous faut aussi, plus que tout, c’est éradiquer ces comportements qui nous ont appris, dès très jeunes, à traiter les filles puis les femmes en compétitrices ou ennemies, venant réaffirmer du même coup le concept “d’une femme n’est rien sans un homme” (on avait dit non). Invoquons pour la gloire la grande Gloria Steinem : "Une femme a autant besoin d’un homme qu’un poisson a besoin d’une bicyclette".

 

Dans ce contexte, plus encore, rappeler aux femmes qu’elles ont besoin les unes des autres et qu’un des enjeux de notre époque est aussi de réinventer leur rapport entre elles, est fondamentalement nécessaire. Et c’est vrai qu’on a un peu tendance à l’oublier, non ? Et un cierge pour une époque où tous les films passeront haut-la-main le test de Bechdel.

 

“Faire le deuil du bitchage et des guerres clandestines. C’est un vrai sacrifice, c’est un peu comme Buffy, la mort est notre cadeau. De même on évitera d’employer le terme connasse, même si on le pense très fort. Ce n’est pas de la censure, c’est juste un petit effort (...). Pour que toutes, de notre vie, nous soyons les héroïnes. Appliquer à soi-même le test de Bechdel, parler chaque jour avec des femmes de quelque chose qui est sans rapport avec un homme.”

 

Pour une sororisation générale, pages 109 à 116


Il n’y a pas de mot pour dire qui nous sommes

 

Le saviez-vous ? Jusqu’au XVIIème siècle, la féminisation de la langue était une coutume de notre bon parler français. De la même manière qu’on disait une “lectrice”, on employait aussi bien le mot “autrice”. Eh oui, déso pour les rageux qui argumentent qu’il s’agit d’une connerie des féministes 2.0 : le mot autrice existait déjà bien avant. Et a disparu donc, au XVIIème siècle, au profit d’une grande opération de masculinisation de la langue par le “neutre” (lol), sous le joug de l’Académie Française et de Richelieu.

 

Pour Chloé Delaume, c’est aussi militer que de changer l’état de la langue : bouleverser la grammaire, se battre pour que tous les possibles se conjuguent aussi au féminin. Et puis, évidemment, oser invoquer le mot sororité : l’autrice nous raconte d’ailleurs l’histoire de ce mot oublié et réinvesti finalement par les féministes françaises dans les années 70. De la même manière qu’à la même période, les américaines créeront ce néologisme : sisterhood. Et on comprend bien, en fait, pourquoi les mots sont nécessaires et méritent d’être réinventés : ils nous permettent d’exister, de nous raconter. De savoir, peut-être, quelque part, qui nous sommes.

 

“Ils possèdent le langage et ils contrôlent la langue. Croient-ils. Féminiser les mots dès que l’occasion se présente, le français est une langue vivante, de la population qui le parle nous constituons plus de la moitié. Se battre pour que le masculin ne l’emporte plus sur le féminin, ça passe par la grammaire. Mille femmes et un seul homme, on dit : ils sont contents. (...) C’est un peu compliqué de se penser égale quand les dés sont pipés et que la langue est fourchue. “

 

Les fabuleuses aventures du mot sororité, pages 81 à 100


Le pacte des nouvelles héroïnes

 

Ce qu’on appelle communément la quatrième vague du féminisme, c’est la notre. Celle de nous toutes. Des anonymes. Des “mauvaises féministes”. Des meufs qui en ont ras les ovaires des mains au cul pour rire, de celles qui s’en sont pris plein la gueule toute leur scolarité, de celles qui militent à coups de posts Instagram, qui n’hésitent pas à gueuler un coup à table avec les grands-parents. Ces nouvelles héroïnes là, c’est vous. Ce sont elles les “bien chères soeurs” de Chloé Delaume : celles qui feront le monde de demain. Et si d’aventure, de temps en temps, sous le poids de la vie vous aviez tendance à l’oublier, lisez Mes bien chères soeurs, de Chloé Delaume : ce sont toutes ces choses, histoires, et valeurs que ce livre réveillera (à nouveau) en vous.

 

“Outil : sororité, une relation entre femmes qui renverserait la donne autant que la devise inscrite sur les frontons. Fraternité existe, sororité aussi. Utiliser ce mot, c’est modifier l’avenir.”

Envie de lire Mes bien chères soeurs ? Par ici pour le trouver