Le néo-perreo arrive en France et il va falloir s’accrocher
Que bueno, que rico, que lindo
Beaucoup de personnes concernées se sont attelées à expliquer longuement que les musiques dites urbaines ne sont pas le grand ennemi sexiste contre lequel il faut se dresser (avez-vous entendu parler d’un certain Serge Gainsbourg ?). Au contraire, elles ne sont que l’expression d’une société qui est systématiquement bâtie de la sorte. Dans la sphère hispanophone, de nombreuses artistes entreprennent une petite révolution qui va vous donner envie de retravailler sur ideas y formas de poder ou espacios e intercambios.
Reggaeton, mami
En mai 2022, Bad Bunny sortait l’album qui allait transformer nos soirées et notre feed TikTok tout l’été. Le disque Un verano sin ti (Un été sans toi) a battu tous les records. Avec plus de 4 milliards d’écoutes en streaming, il a été l’album le plus écouté de l’année, des chiffres impressionnants, et encore plus en ce qui concerne la musique latine et son genre de prédilection, le reggaeton.
Alors certes, depuis Gasolina de Daddy Yankee, premier atterrissage du reggaeton en France, le genre a bien évolué. Il semble maintenant devenu une catégorie fourre-tout où on empile tout ce qui ressemblerait de près ou de loin à de la musique en espagnol. Bon, pourquoi pas. On vous propose quand même un mini-point, histoire de mieux l’appréhender.
Le mot reggaeton serait une contraction du mot reggae et de maratón (en référence aux battles de rap des années 90) et viendrait plus précisément du reggae et du dance-hall jamaïcain. Comme la cumbia, (rythme latino par excellence) il est issu d’un mélange de sonorités héritées des esclaves africains des côtes caribéennes fusionné aux apports migratoires venus d’Europe. Il se forme à mi-chemin entre New-York et l’Amérique latine, entre immigré·es et rapatrié·es, tout comme la salsa (tout est connecté, c’est normal, on rigolait pas quand on parlait d’Histoire).
Dans les grands pionniers et pour vous mettre un peu dans le jus, on a ces deux artistes déterminants. Premièrement, Vico C, qui pour de nombreux·ses spécialistes est considéré comme le père du reggaeton. Sur Bomba para afincar (1991, on vous épargne le jeu de mots mais en gros du bon son pour s’éclater), il est l’un des premiers à mélanger le reggae et des sonorités similaires au rap. Ensuite vient, bien sûr, Daddy Yankee avec des dizaines et des dizaines de bangers qui ne quittent toujours pas nos playlists de teuf. Par exemple, Dónde están las gatas (2001, littéralement, où sont les chattes) en featuring avec Nicky Jam et Llamado de emergencia (2008, appel d’urgence) qui a un peu l’effet Confessions Nocturnes en soirée latino.
Les reines du perreo
Le reggaeton, comme tous les genres de musique ou tout simplement d’art a rapidement été monopolisé par les hommes. Résultat : des paroles qui ont rapidement dériver vers des paroles très explicites voire même dénigrantes. Alors, il y avait des meufs, bien sûr, mais plutôt des voix en écho comme dans Saoco (2004, traduisible par saveur) qui ne faisaient qu’insister sur le fait que oui, elles kiffaient grave.
Et puis est arrivée Ivy Queen. Avec Quiero bailar (2003, je veux danser) la porto-ricaine, véritable pionnière du reggaeton féministe l’explique très clairement : « Porque yo soy la que mando // Soy la que decide cuando vamos al mambo // Y tú lo sabes » (Parce que c’est moi qui décide, celle qui décide quand est-ce qu’on danse, et tu le sais). En poussant les portes d’un monde ultra-masculin et en proposant un nouveau point de vue sur un genre apprécié de toustes, elle ouvre une nouvelle voie.
@giphy
Parce qu’avant de s’installer définitivement en France avec Bad Bunny et autres Maluma ou J Balvin, le reggaeton a d’abord tout raflé en Amérique latine et aux US. Passé des petits coins de rue dans les quartiers défavorisés de San Juan ou New York il a pris en popularité et est venu s’installer dans les beaux quartiers de Medellín et LA pour devenir de plus en plus bling-bling. Mais ce qui fait sa particularité c’est sa danse : le perreo.
Venu du mot chien en espagnol (perro), le perreo peut être assimilé au twerk ou au quadradinho brésilien. Toustes peuvent danser ensemble mais surtout et pour la première fois, les filles peuvent danser entre elles et se laisser complètement aller. Danse foncièrement sensuelle, elle mime l’acte sexuel et transgresse de manière assumée les règles d’une société latino-américaine très conservatrice et aux traditions chrétiennes bien installées.
Après elle, d’autres artistes féminines ont utilisé le reggaeton pour affirmer leur sexualité et l’utiliser comme outil d’empouvoirement. Comme Becky G (feat. Bad Bunny) en 2017 sur Mayores (plus âgés) qui raconte qu’elle aime les hommes plus « âgés » qui ne « rentrent pas dans sa bouche ». Ou alors Karol G avec Mi Cama (mon lit) en 2017 qui explique à son ex que son lit grince plus que jamais maintenant qu’il est parti.
© Billboard - Karol G, Becky G, Natti Natasha, Lali et Anitta
Néo-perreo = néo-pouvoir
Cette réappropriation du reggaeton a traversé les années 2000 et 2010 et a commencé à muter. Karol G ou Natti Natasha font maintenant un reggaeton un peu plus mélancolique, plus pop comme le montre leur dernier featuring Mamiii (Meuf) en 2022 où elles crachent sur leurs exs. En revanche, doucement mais sûrement, un reggaeton qui ressemble un peu plus à celui des origines, un peu plus trash et un peu plus NRV, a pris ses marques.
MS Nina, artiste argentine souvent considérée comme l’égérie du néo-perreo a proposé de nouvelles sonorités et de nouvelles paroles avec des sons comme Tu sicaria (2017, Ta tueuse) et un clip où elle utilise un pistolet comme accessoire principal et reprend alors figurativement le contrôle. L’espagnole Bad Gyal avec son univers bien barbiecore s’impose avec Pussy (2021) qui souligne que son pussy est inaccessible là où la chilienne Tomasa del Real est très explicite dans No More (2023) sur le fait qu’elle est « the fucking bitch ».
@akabadgyal
Et puis le néo-perreo a aussi permis à des figures queer de trouver leur place dans un univers trop hétéro-patriarcal. Ainsi, Sailorfag, originaire du Mexique a proposé un renouveau nécessaire des paroles et des thématiques abordées. Dans Amiga date cuenta (2018, Meuf rends toi compte) iel dit à sa pote, en langage inclusif, qu’il faut qu’elle arrête de souffrir pour ce boloss en l’imitant et se moquant de lui. Dans Machitos arwenderos (2018, petits mecs poucaves) iel s’adresse à ces mecs semi-alliés et en qui on sait qu’on ne peut pas faire confiance, Sailorfag termine son morceau avec : « Y no crean que este rap va solo pa’ los heteros / Que los gays también podemos ser machitos argüenderos » (Et ne croyez pas que ce rap n’est que pour les hétéros / Les gays aussi peuvent être des petits mecs poucaves).
Le néo-perreo a encore de belles années devant lui avant de se transformer probablement et progressivement dans un nouveau courant, toujours ancré dans l’actualité. En tout cas, qu’on apprécie ou non ces sonorités électro un peu saturées et le phrasé haché un peu dur de ces artistes, on va suivre ça de près. On ne sait jamais d’où peut provenir la révolution !