Comment as-tu réalisé ce qui était arrivé aux femmes que tu représentes, et pourquoi as-tu choisi de leur consacrer une série d’œuvres ?

 

Je m’intéressais à la vie intime de Picasso, mais quand j’ai lu Vivre avec Picasso de Françoise Gilot (une de ses maîtresses) j’ai réalisé comment les femmes qui ont partagé sa vie ont souffert avec lui. À partir de ce moment-là, je me suis beaucoup plus intéressée à elles. L’année dernière, le musée Picasso à Barcelone donnait un séminaire « Baisser la libido du minotaure. Affronter la masculinité picassienne ». J’ai adoré que même ce musée parle de la masculinité toxique de l’artiste. Ça valait tellement le coup d’y aller que quand ça s’est terminé, j’ai décidé que je voulais faire quelque chose avec toutes ces femmes. Je ne savais pas comment les représenter, et une idée m’est venue avec une des phrases célèbres de Picasso : « Les femmes ne sont pas tout simplement posées là comme un modèle qui s’ennuie. Elles sont prises au piège de ces fauteuils comme des oiseaux enfermés dans une cage. Je les ai emprisonnées dans cette absence de geste ».

 

C’est à ce moment-là que j’ai commencé à faire les esquisses, jusqu’à trouver l’image que vous pouvez voir sur les peintures. Vous voyez des femmes seules, assises sur des chaises ou des canapés, avec une fenêtre ou une porte, qui donne une sortie à cet emprisonnement dans lequel elles sont avec le peintre espagnol, qui est représenté dans les tableaux qui sont autour d’elles et dans lesquels elles sont elles-mêmes protagonistes.

 

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On parle de femmes dont la santé, la carrière, et parfois la vie, ont été brisées ou impactées. Comment leur rends-tu leur dignité dans tes peintures ?

 

Pour moi, c’était très important de leur rendre hommage. De pouvoir parler d’elles et de transmettre cette curiosité que j’ai eu au début, qu’on les connaisse pour elles-mêmes en pas seulement parce qu’elles étaient les amoureuses de Picasso. Elles ont toutes eu leurs carrières artistiques, comme Fernande qui était modèle pour d'autres artistes et que Picasso à obliger à abandonner pour ne poser que pour lui. Olga Khokhlova était danseuse des Ballets Russes et a aussi fini sa carrière à cause de Picasso. Dora Maar était photographe, et grâce à elle on a les seules images qui existent de Picasso en train de peindre le tableau Guernica. Et Françoise GiIot, la seule femme qui à quitté Picasso (elle a 101 ans), et qui a continué sa carrière de peintre, artiste et écrivaine après leur séparation. Elle le dit dans son livre : « Il rangeait toutes les femmes qu’il avait collectionnées dans son petit musée personnel (...) De temps en temps elles ajoutaient une note d’humour, de drame ou de tragédie aux événements, et c’était autant d’eau à son moulin. Même s’il n'éprouvait plus rien, il ne pouvait supporter qu’aucune d’elles puisse jamais avoir une nouvelle vie. »

 

Tu as beaucoup étudié la vie de ces femmes. Imagines-tu parfois à quoi auraient ressemblé leurs destins si elles n’avaient pas croisé Picasso ?

 

C’est impossible de savoir si elles auraient eu des meilleures vies ou pas sans lui. Mais ce qui est sûr, c’est que c’est impossible d’avoir une carrière ou une vie heureuse et pleine à côté d’une personne maltraitante, qui méprise tout ce que vous faites, dites, pensez... Quand une personne tire des bénéfices de la douleur des autres, c’est alarmant. On le voit bien dans certaines chose que Picasso disait disait aux femmes, qui sont vraiment terribles : « Chaque fois que je change de femme je devrais brûler la précédente. Comme cela, j’en serais débarrassé. Elles ne seraient pas toutes là à compliquer ma vie. Et puis, cela me redonnerait peut-être la jeunesse. » On tue la femme, et on efface le passé qu’elle représente. Même sa mère le savait. Un jour à Barcelone, elle a dit à Olga qui allait se marier avec Picasso : « Si j’étais votre amie, je vous dirais de ne pas épouser mon fils. Je crois qu’aucune femme ne pourra être heureuse avec lui. Il n’appartiendra à personne, car il n’appartient qu’à la peinture. »

 



Si Picasso est de plus en plus critiqué, il reste érigée en génie intouchable par beaucoup. Penses-tu que le monde de l’art moderne a su prendre du recul sur les figures d’artistes violents comme lui ?

 

Je crois qu’on est en train d’ouvrir la voie. Mais malheureusement, il y a encore beaucoup de personnes qui ont cette mentalité où il ne faut pas parler de choses problématiques, qui peuvent montrer une partie moins agréable d’un génie. C’est pour ça que j’ai adoré voir le musée Picasso de Barcelone donner ce séminaire. La plupart des institutions qui représentent des artistes omettent de dire quoi que ce soit de négatif sur eux. Mais je trouve que c’est super important de le faire pour les futures générations. De cette manière, ils savent qu’il y a un génie de la peinture, qui dans ce cas faisait des œuvres extraordinaires, mais dont l’inspiration venait à cause de la souffrance des femmes qui étaient autour de lui.

 

Claire Roussel