De quels constats part ce livre ?

 

Au début des années 2010, on a beaucoup parlé dans les médias de la série Girls de Lena Dunham, comme “l’anti Sex and the City”, dans le sens où la représentation d’une bande de copines et de leurs problèmes à NYC semblait plus réaliste que dans la série culte avec Sarah Jessica Parker. Girls a pavé la voie vers de nouvelles séries, moins clichés, avec des personnages féminins plus fouillés, moins tournés uniquement vers les hommes et l’amour. Je voulais écrire là-dessus, et montrer pourquoi et comment les séries et le cinéma s’étaient largement emparés du sujet depuis une dizaine d’années.

C’est quoi les clichés qui pèsent sur l’amitié à l’écran ?

 

La rivalité ! Deux femmes d’abord amies se battent pour un homme / un job / un appart / une autre amie…c’est un vrai poncif qui décrédibilise totalement le principe de sororité en participant au cliché des femmes qui se tirent tout le temps dans les pattes, ce qui, dans la vraie vie est totalement faux ! L’amitié des femmes à l’écran a aussi très peur du lesbianisme. Souvent, on présente l’amour très fort entre deux femmes comme quelque chose de flou, dangereux ou ambiguë, sans admettre que des femmes peuvent simplement être amoureuses ou encore juste intensément amies de manière saine.

 

Quels sont les enjeux féministes de montrer des amitiés entre femmes à l’écran ?

 

Déjà, il y a la nécessité de montrer plus de personnages féminins, et moins d’hommes. C’est le principe du fameux test de Bechdel, (du nom de la bédéaste américaine Alison Bechdel qui a créé le test), c’est l’idée de montrer des femmes qui vivent et parlent en dehors des hommes.

 

Ensuite, créer des amitiés entre femmes permet de ne pas fonder tout le scénario sur les relations amoureuses entre femme et homme, c’est montrer d’autres formes de relations, tout aussi épanouissantes et riches en rebondissements.

 

Enfin, cela permet de mettre au centre de l’histoire des personnages qui en sont souvent exclus, comme le cliché du ou de la meilleur.e ami.e gay / grosse / racisée. Ces personnages n’ont jamais d’autres fonctions que celles d’être le faire-valoir d’une jeune femme blanche mince et jolie dont le destin sera de tomber amoureuse d’un homme. Mettre l’amitié au centre du récit, c’est aussi proposer de vrais arcs narratifs et donner de l'épaisseur à tous ces personnages que l’on pousse toujours dans les marges.

Quels sont les ingrédients d’un bon film sur l’amitié selon toi ?

 

Le principal, c’est que des personnes concernées écrivent sur ce qu’elles connaissent et sur leurs expériences. Cela change tout, et surtout cela se voit à l’écran.

 

En quoi, justement, l’équipe du film change tout ?

 

Si les séries se sont diversifiées récemment, c’est parce que les équipes de showrunners se sont enrichies de profils plus divers, avec plus de femmes et de personnes racisées ou queer. Mais ça ne fait pas tout, maintenant il y a aussi la nécessité que les décisionnaires se diversifient. Les grosses plateformes de production et de diffusion restent très normées et ont tout le pouvoir d’annuler de très bonnes séries par et pour des minorités, pour des raisons financières, comme ce fut le cas pour Sense8 notamment.

Tu parles beaucoup dans le livre de l’apparition de nouveaux projets ces dernières années, en quoi la fiction se fait-elle ou non le reflet de la société sur les questions féministes ?

 

MeToo a changé beaucoup de choses et cela se ressent dans les scénarios. Maintenant, on parle de féminisme, de violences policières, d’agressions sexistes et sexuelles… Les séries suivent beaucoup plus subtilement l’actualité.

 

C’est quoi tes références ultimes ?

 

Je trouve que Broad City est une série sur l’amitié entre deux femmes juives à New York hyper attachante, super joyeuse, bien jouée et bien écrite. Ensuite, Pen15 sur les années collège est vraiment très drôle. Côté film, Thelma et Louise de Ridley Scott reste un classique, sur deux femmes qui s’émancipent par la violence, en autorisant enfin les femmes à être violentes. Pour finir, L’une chante, l’autre pas d'Agnès Varda, est un film sur le féminisme old school mais très beau, qui résonne beaucoup avec l’actualité autour de l’avortement.

 
 

Hanneli Victoire


Utopies féministes sur nos écrans, les amitiés féminines en action 
Pauline Le Gall, éd. Daronnes, 2022.