Un héritage queer et racisé états-unien

 

Le voguing et le waacking apparaissent à peu près à la même époque aux États-Unis et découlent de deux aires d’influence différentes mais complémentaires. Liées à la volonté de trouver un safe space et une forme d’expression unique pour une communauté persécutée.

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Le voguing, dont le nom est directement inspiré du magazine Vogue et des poses des mannequins, apparaît à Harlem dans les années 60. Poussé par des figures emblématiques comme Willi Ninja ou l’iconique Crystal LaBeija, il prend forme dans les fameuses houses qui se développent dans les années 70. Ces collectifs sont créés par des membres de la communauté queer racisée (notamment des noir·es et latinx). Les houses accueillent les jeunes isolés comme des membres d’une nouvelle forme de famille plus inclusive et dans le soin. Chacune de ces houses est dirigée par une mère ou un père, figure ressemblante de la famille. Des dizaines d’houses sont ainsi nées d’un besoin viscéral d’union : House of LaBeija, House of Xtravaganza, House of Wong ou House Dior.

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Le waacking prend ses racines dans la Californie des années 60 et plus précisément, la ville à paillettes par excellence, Los Angeles. Cette danse est, tout comme à New York avec le voguing, créée par la communauté noire et latine queer plutôt pauvre de la région et était fortement representée par la mythique émission Soul Train. Elle vient de la disco et devient aussi un espace safe pour être soi-même. Le waacking proviendrait du verbe to whack (battre, frapper) et d’un mouvement-clé en particulier. Son premier nom, le punking, faisait référence au mot punk utilisé comme une insulte pour désigner les hommes gay. Il a été détourné pour être réapproprié par la communauté avant de faire place au mot whackin’ pour inclure les hétérosexuel·les. Il serait finalement devenu waacking pour se libérer de ses différentes connotations. Né près d’Hollywood, c’est naturellement là que sont présentes les stars de l’époque (Marilyn Monroe, Greta Garbo, Marlène Dietrich, etc.) et qui en ont inspiré les principaux pas de danse.

 

Dans les États-Unis des années 60 et 70, ces deux mouvements et l’univers culturel qui les entoure ont été fondamentaux en termes de santé publique, de création du sentiment d’appartenance et de pure créativité. Alors qu’il était d’usage de masquer le plus possible son orientation sexuelle pour ne pas subir de représailles dans la rue (de passant·es ou de la police), les houses et boîtes disco sont devenues des lieux de libre expression. Que ce soit par des mouvements délibérément exagérés ou bien par un style vestimentaire très particulier et peu classique, dans les deux cas, c’était pour beaucoup de membres, la première expérimentation d’un safe space.

 

Une lutte sans fin

 

C’est notamment le groupe Breed of Motion qui rassemble des stars du voguing (Archie Burnett, Willie Ninja) et du waacking (Tyrone Proctor) qui va participer à la fusion des deux danses et à leur association par le public. Là où le waacking se dansait originellement plus sur de la disco, c’est sur des musiques plus techno que se base le voguing. Mais aujourd’hui, alors que les deux styles se mélangent plus facilement, c’est surtout grâce aux mouvements qu’on pourra discerner le genre.

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Le waacking cherche à montrer et suivre le son à travers les gestes. Les mouvements sont plus arrondis et doivent s’accorder le plus précisément possible au rythme de la track. Pour le voguing, les bases sont plus rigides avec notamment plusieurs éléments-clés comme le hand performance (jeu de mains), le floor performance (jeu au sol), les spins and dips (tours et plongeons), la duck walk (marche du canard) ou la cat walk (marche de défilé).

 

Cependant, des deux côtés du pays, c’est l’épidémie du SIDA qui viendra décimer la moitié des acteur·ices et artistes phares de cette génération. Du groupe phare des Original Punkers, il ne reste qu’un membre (Viktor Manoel) et les communautés se sont tapies pour prendre soin les un·es des autres. Ainsi, si le voguing a résisté dans les milieux underground, le waacking doit sa renaissance à Brian Green qui a recommencé à l’enseigner en 2003 et l'a fait connaître aux nouvelles générations notamment via des collectifs de soutien aux jeunes queers.

 

Un héritage fragile à préserver

 

Aujourd’hui le waacking et le voguing sont définitivement de retour notamment grâce aux danseur·euses à travers le monde qui partagent une passion et un langage communs. Vous trouverez dans toutes les grandes villes de France des cours de waacking et/ou voguing à portée de main. De plus, un travail colossal d’archives et de restauration d’anciens médias permettent aux mouvements de se développer sans cesse et d’en apprendre plus sur leur propre histoire queer. Les milieux se sont ouverts à d’autres identités mais la prévalence de la communauté queer et l’Histoire de ces mouvements en fait toujours des espaces qui se veulent safe et protecteurs

Pour continuer votre exploration :

 

The Queen (1968) de Frank Simon

 

Paris is Burning (1991) de Jennie Livingston

 

Kiki (2017) de Sara Jordenö

 

L’histoire folle de Crystal LaBeija

 

L'incroyable Mariana Benenge

 

Le superbe Boubou Belbak

 

 

On se voit à la prochaine battle ?

 

 

Crédits photos header : Chantal Regnault