Tapage : Pour toi, l'hétérosexualité n'est pas qu'une question d'orientation sexuelle. Tu nous expliques ?

 

Juliet Drouar : Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’hétérosexualité est une norme imposée par la société. Cette norme nous impacte toutes et tous, à tous les niveaux de notre vie - pas seulement pour l’amour et le sexe. Cette norme inclut par exemple l’idée du couple exclusif, qui implique qu'il faudrait habiter, baiser, aimer, procréer, être parent avec la même personne toute sa vie. Si on se pose deux minutes pour y réfléchir, il n’y a rien de naturel à tout ça, mais c’est le modèle que l’on voit partout autour de nous.

Tapage : Pourquoi réfléchir à sortir de l’hétérosexualité de nos jours ?

 

Juliet Drouar : Tout d’abord, il y a la question de l’amour. Il y a d’autres manières d’aimer et d'être aimé·e que dans un cadre hétéro, avec cette idée qu’on doit attendre le bon, et vivre toute sa vie avec. Même si on sait que dans les faits, ça ne se passe pas comme ça, on a quand même ce mythe qui perdure, qui nous fait plus de mal que de bien.

 

L’hétérosexualité, c’est aussi un système qui organise la société de manière genrée… et donc forcément inégalitaire. Pour les personnes qui s’identifient comme femmes, il est important de remettre en question la charge mentale, sexuelle, émotionnelle, domestique qu’elles subissent dans le couple hétéro.

 

Enfin, il y a urgence à repenser cette norme pour toutes les personnes LGBTQIA+ qui ne s’y reconnaissent pas et sont, de fait, discriminées.

Tapage : Comment peut-on faire le premier pas ?

 

Juliet Drouar : Il faut intégrer qu’il n’y pas de rigidité absolue dans les attirances et le spectre du genre, tout peut bouger. Déjà si on arrivait à se mettre d’accord là-dessus, on avancerait beaucoup !

 

Un des conseils que je donnerais est d’ouvrir son imaginaire, renouveler ses références culturelles, chacun et chacune à son rythme. Cela peut être par des livres, des séries, des films, des comptes Instagram à suivre, des vidéos sur Youtube. Il y a par exemple la série Work in Progress, sur une histoire d’amour entre un jeune homme trans et une butch (lesbienne masculine) plus âgée, écrite et interprétée sur des bases autobiographiques par Abby McEnany. Toujours en série, Pose parle du milieu voguing à New York dans les années 80, avec foulitude de personnes trans, queer, et racisées.

 

Sur Instagram, on peut suivre @piapia.asso.media, un média associatif qui recommande des oeuvres culturelles queer et revient sur des périodes et personnages LGBTQI+ de l’Histoire. Pour choper des références culturelles de livres ou films lesbiens, le mieux est aussi de suivre @lesbienraisonnable, en plus c’est très drôle ! Enfin, pour les plus motivées, pour aller plus loin dans la théorie, il y a l’incontournable essai La Pensée Straight de Monique Wittig, une des premières penseuses, activiste et lesbienne, à avoir théorisé l’hétérosexualité.

 

D’ailleurs, l’idée n’est pas de dire qu’on ne peut pas aimer une personne étiquetée homme. Simplement que ce n’est pas obligatoire, et surtout, on n’est pas obligé de s’isoler dans un couple exclusif toute la vie si ce n’est pas ce dont on a envie. Repeuplons nos imaginaires !



Sortir de l'hétérosexualité de Juliet Drouar est paru chez Binge Audio dans la collection Sur la table

Retrouvez-le vous chez votre libraire pour 15 €


 

Interview par Hanneli Victoire