Pourquoi il faut en finir avec l’expression « garçon manqué »
Au-delà de “parce que merde”
Il a suffit de grimper à un arbre, de s’égratigner le jeans en tombant et de crier « ON RECOMMENCE QUANNND ? » pour que la BFF de votre daronne balance le fameux « C’est un vrai garçon manqué ta fille ». Vous aviez 7 ans, et la vie tentait déjà de vous mettre un stop à base de remise en question. Bien sûr, vous avez mis un gros kick à la remise en question et crié « ON RECOMMENCE QUANNND ? », mais ça a un peu trop vite recommencé à votre goût. A l’adolescence parce que vous avez coupé vos cheveux, à la fac parce que vous étiez la meilleure sur les blagues graveleuses, au bureau parce votre kiff c’est les blazers oversize et les mocassins, sauf le jeudi, parce que le jeudi c’est rugby. A force, le “on recommence quand ?” s’est transformé en “ça s’arrête quand ?”, avec la ferme nécessité d’expliquer pourquoi à toutes les personnes qui vous servent encore cette expression. Pas que vous en ayez besoin, mais on avait envie de vous filer un coup de main.
La censure du genre
Où commence et où s’arrête ce qui fait d’une personne un “garçon manqué” ? Qui le définit ? Est-ce qu’avoir une passion Lego à 6 ans quand on s’appelle Sarah c’est être un garçon manqué ? Ou est-ce qu’il faut aimer jouer à la bagarre ? Préférer le bleu au rose, les baskets à scratchs aux sandales à paillettes, les jeux vidéos plutôt que la dinette ?
Notre société est tellement genrée dès l’enfance et dans le moindre détail de notre quotidien, qu’on n’arrive même pas à voir qu’une petite fille qui kiffe jouer à la bagarre sur un jeu vidéo Lego en baskets à scratchs bleues, c’est juste une petite fille qui kiffe jouer à la bagarre sur un jeu vidéo Lego en baskets à scratchs bleues. Pas un garçon manqué. Mais à force de lui rabâcher et de le lui reprocher - parce que oui, c’est formulé comme un reproche - on lui fait comprendre qu’elle n’est pas normale, que ses sujets de curiosité et d’intérêt ne sont pas conformes, que si elle veut être acceptée par la société, il faut qu’elle repose la manette et fasse semblant de faire du thé dans une tasse en plastique estampillée Hello Kitty. Par une simple expression, on pousse les filles à l’autocensure, dès leur plus jeune âge.
Et ça continue à l’adolescence et à l’âge adulte. Pour une question de goûts, d’apparence, de profession parfois, c’est tout une identité qui peut être remise en question. On renie aux personnes qui s’identifient comme femmes leur droit d’être perçues comme telles - aka d’être elles-mêmes - si elles ne se plient pas aux normes de genre imposées par la société. How fucked up is that?
Les stéréotypes de genre limitent notre champ des possibles. Une championne d’haltérophilie, une ado qui rase ses cheveux mais pas ses aisselles, ou une femme qui se marie en costard ne sont pas des garçons manqués, ce sont des femmes puissantes, bien dans leur peau et stylées.
Quid de la transidentité ?
Cette stéréotypisation du genre participe aussi à nourrir la transphobie. Comment accepter qu’il y ait des personnes en désaccord avec le genre qui leur a été attribué à la naissance, quand on ne comprend pas que le genre est quelque chose de personnel qu’on sait, qu’on ressent, qu’on exprime à sa façon, pas une étiquette qu’on nous pose en fonction de notre sexe ou de notre apparence ? Comment reconnaître les personnes non-binaires (dans le sens accepter leur identité), si on colle direct l’étiquette “garçon manqué” à une personne née femme qui rejette les “codes” de la féminité, tout simplement parce qu’elle ne se sent ni femme, ni homme d’ailleurs ?
La réplique “garçon manqué” intervient quand on ne parvient pas à définir une personne en fonction des stéréotypes de genre, quand elle dévie des codes, quand on est hors repaires, un peu duper. Et si au lieu de lui imposer une nouvelle case injurieuse, on lui demandait tout simplement comment elle souhaite qu’on la genre ? Peut-être qu’elle se sent tout simplement femme et qu’il faut revoir ses critères d’attribution du genre féminin, peut-être qu’elle se sent garçon, et dans ce cas-là il n’y a rien de “manqué”, peut-être qu’elle se sent non-binaire et il est grand temps de l’accepter.
Un acte manqué ?
Au-delà de l’idée, il faut s’arrêter aussi sur les mots qui composent cette expression. Qu’est-ce qu’il y a, vraiment, dans “garçon manqué” ? On voit l’image, on tient la définition dans son à peu près, mais à propos des termes choisis ? Sur le blog de l’asso Osez le féminisme !, l’autrice Erell Hannah, dans cette réflexion de sens, se demande pourquoi on ne dit pas “fille manquée” pour les garçons, et y répond avec ce constat frappant : « Dans une société patriarcale, on ne peut pas être une “fille manquée”, puisqu’une fille, c’est manqué par définition ». Être un garçon manqué, c’est au-delà d’avoir une apparence ou des manières catégorisées comme masculines : c’est avoir raté le coche d’être né homme, c’est avoir perdu à la grande loterie du genre.
La critique prend alors son véritable double sens : on ne reproche pas seulement à une fille de “ne pas faire assez fille”, mais aussi d’être une fille. Alors à toutes les personnes qui disent “garçon manqué”, répondez “petite fille téméraire”, “jeune fille charismatique”, “femme épanouie”. A toutes les personnes qui disent “garçon manqué”, répondez que la seule chose qui manque ici, c’est une ouverture d’esprit pour voir les personnes telles qu’elles sont, sans jugement ni préjugé.