Shots de bienveillance

 

Good news : il y a plein de façons de construire un rapport cool à notre physique. Proche de la cinquantaine, Violette, sereine avec son corps et se trouvant souvent belle, est agréablement surprise : « Je pensais que j’aurais toujours un rapport compliqué avec mon corps, qu’en vieillissant ça s'améliorerait pas. En fait si, donc c’est chouette ». Elle met ça sur le compte de plus d’indulgence avec elle-même et des représentations plus diversifiées que dans sa jeunesse.

 

Sahanah, de son côté, est allée taper dans la self estime. Adoptée et d’origine malgache, elle a dû se construire sans modèle de beauté qui lui ressemblait, tout en assumant son identité queer : « Le féminisme m’a aidée. J’ai décidé d’assumer mon côté masculin, et de ne pas me fier à ce que ma famille, les filles autour de moi et juste la société m’apprenait. Maintenant je me trouve non seulement unique, mais en plus hyper forte, parce que ça ne repose que sur moi. Je n’ai plus cette attente du regard de l’autre ».

Dans le cas de Lola, autrice du mémoire La mécanique de la pétasse - figure qu’elle revendique joyeusement - elle n’a pas construit son identité autour de la beauté. « Mes parents ne m’ont jamais dit que j’étais belle ou moche. J’étais plutôt un garçon manqué, entre un grand frère et un petit frère. Je les remercie vraiment d’avoir insisté sur l’intelligence, la gentillesse… ». Puis en grandissant, « J’étais fascinée par des codes d’une certaine féminité patriarcale, genre Betty Boop, Brigitte Bardot, rouge à lèvres et léopard. C’était pour les hommes, mais je les trouvais aussi fortes d’utiliser ça à leurs fins, ça provoquait les gens. Donc j'ai joué, sans les prendre au sérieux, avec ces codes (mais pas cette beauté car j’ai un gros nez et les oreilles décollées donc je ne suis pas cette norme) ».

 

Cette puissance conscientisée, Lola l’a aussi mise dans sa marque : elle a remporté le prix du public du festival de Hyères (en collab' avec le bijoutier Indra Eudaric), avec une collec’ sur le thème de la pétasse, en plus du prix Hermès grâce à une ceinture pour la marque. La classe un peu.

Même quand on nous dit d’emblée qu’on est belle, ça n’est pas forcément évident. Annie, dont les parents étaient aussi considérés comme très beaux, a reçu dès petite une base qui donne de l’assurance. Même si elle nuance : « Sous cette apparence il y a des choses plus compliquées intérieurement. Par exemple, mon mari me le dit tous les matins ! Mais du coup, c’est rigolo, avant de déjeuner avec lui, je passe dans la salle de bain. Donc il y a quand même quelque chose que j’entretiens ».

 

 

Quand on se trouve fraîche

 

Mais du coup, comment ça se passe quand une femme assume qu’elle se sent bien avec son apparence ? Ce ne sont pas les jugements qui vont faire flipper Lola : « Les gens rigolent face à mon style, mais ils aiment bien aussi. Quand je dis que je travaille sur la pétasse, on est choqué, on rit, on trouve ça indécent ou génial... Je suis prête à toutes les réactions, du coup les gens finissent par me prendre au sérieux ».

 

Toutes les femmes à l’aise n’ont pas le réflexe d’en parler : « La première fois qu’on m’a dit que j’étais belle -une amie de ma mère à la plage-, j’étais en 6e ou 5e. Ça m'a beaucoup choquée, donc j’ai répondu par réflexe que je le savais. Elles ont trouvé ça impertinent. Mais sinon, je ne l’exprime pas. Je vais plutôt faire des choses qui font que je vais me sentir bien avec mon corps » explique Annie.

Pour Violette, qui a construit en douceur une communauté avec qui elle échange sur Instagram, l’expérience est souvent positive. « Avec mes photos et mon style, je voulais dire aux femmes : c’est pas parce que t’as 50 que tu peux pas être stylée, belle… Les gens réagissent super bien à ce discours, avec beaucoup de bienveillance ».

 

« Ça dépend du contexte. Je vois bien que dans une soirée remplie d’hétéros je détonne, ça fait un peu éléphant dans un magasin de porcelaine » s’amuse Sahanah. « A l'intérieur même des genres, il y a une concurrence à cause de la société. Mais c’est vrai qu’une meuf qui va assumer son physique, elle va s’attirer les foudres en général… »

 

 

On n'est pas aidées

 

Pour nos témoins, la société n’encourage pas les femmes à être à l’aise avec leur apparence. Si Sahanah et Lola évoquent la difficulté de se trouver à l'adolescence, Annie partage l’invisibilisation des femmes “âgées” : « Par exemple avec le cinéma, pendant un bout de temps tu es dans la tranche d'âge des femmes montrées, de 20 à 45 ans à peu près. Tu peux toujours t’identifier, puis à un moment c’est plus compliqué. Là, tu réalises que quelque chose se joue avec l'âge, ça transforme ton ressenti ».

 

Autre galère : pour celles qui veulent tomber enceintes, le corps se transforme et on n'est pas toujours aidée. « Je me souviens, 3 semaines après avoir accouché de mon fils, mon père m’a dit “Bon, il va falloir faire quelque chose", et le pire c’est que je trouvais qu’il avait raison. J’étais tellement peu bienveillante avec moi-même... » raconte Violette. « Je n’ai pas l’impression que la société soit plus douce qu’avant, mais on peut aller chercher des représentations body positive hors des médias traditionnels ».

Petit tip pour surmonter les injonctions : Lola rappelle que tout le monde prend tarif. « L’affirmation de soi, de son apparence, c’est se dire que dans tous les cas tu vas être jugée. Que tu sois la boulangère, le col serré ou un méga décolleté, dans la rue on est toutes scrutées. Je pars du principe que je suis bien dans ma vie, avec mes amis, donc le jugement, je m’en fous ».

 

Annie médite : « Je trouve qu’on est dans une société paradoxale : d’un côté le corps est tout le temps mis en avant, et en même temps c’est juste une apparence qui masque une intériorité. Même la nudité doit être mise en scène. Enfant, j’avais un idéal de corps dans ma tête, qui n’était pas le mien. On est formaté·es pour ça. Mais la réalité c’est que nos corps ne sont pas un idéal, c’est quelque chose de vivant. Rien que dans le mot il y a une espèce de rondeur avec les lettres O et C. Et en fait, c’est comme si on était tout plats. On arrête pas de nous aplannir, c’est très bizarre ce truc-là. Comme si il n’y avait qu’un miroir ».

Claire Roussel