Comment éviter le burn out militant ?
La question du siècle (genre vraiment)
Lundi. Vous vous prenez la tête avec un·e inconnu·e qui débite des conneries sexistes sous votre post Insta. Mardi. Vous donnez un cours d’histoire coloniale sur la pause déjeuner à vos collègues qui “ne sont pas racistes mais…”. Jeudi. Vous avez réservé une place pour une conférence sur les violences sexistes et sexuelles organisée par une asso féministe et queer. Samedi. RDV à 14h pour une manif’ ou à 22h pour une action militante. Dimanche. (...) ON VA SE REPOSER MAINTENANT, NON ? Petit topo du pourquoi et du comment prendre aussi soin de soi à l’attention des personnes militantes et de leurs allié·es dans cet article.
Crédit photo : @didudietho
Où est-ce que ça commence, où est-ce que ça s’arrête ?
Il existe une métaphore dans la communauté féministe pour parler du moment où les personnes se rendent compte de l’existence/du fonctionnement/de la violence du système patriarcal : on appelle ça avaler “la pilule rouge du féminisme”. Aka ce moment Matrix où “vous” décidez de voir/comprenez ENFIN (selon le scénario) ce que sont des violences systémiques, aussi flippant et déstabilisant que ça puisse paraître.
Et ce dont on se rend vite compte une fois qu’on a “avalé cette pilule”, c’est que les luttes féministes au XXIème siècle sont littéralement tentaculaires. Par nécessité, en fait : parce qu’elles sont (dans le meilleur des mondes) intersectionnelles, et que les oppressions contre lesquelles elles s’érigent sont le fruit d’un système lui aussi... tentaculaire (qui a beaucoup plus de moyens, tmtc).
Pour résumer, et que ce soit du côté de la lutte féministe, anti-raciste, anti-LGBT phobies, ou anti-validiste (pour ne prendre “que” ces exemples), il s’agit donc ni plus ni moins de remettre en question nos sociétés dans leurs fonctionnements pour les rendre plus inclusives (= v’là le projet). Sachant que bien des personnes luttent contre des oppressions qu’elles-mêmes subissent. Vous commencez à voir le souci ? #épuisement
Le truc, c’est donc que si ces luttes et les personnes qui les portent ne reçoivent pas de soutien ou d’écho concret de la part des responsables politiques, elles peuvent s’étaler dans un temps très très lo(ooo)ong, et dans un cycle toujours renouvelé de violences. Ou comment dans le cas d’Assa Traoré, militer depuis 2016 aux côtés du comité La Vérité pour Adama pour obtenir justice. QUATRE fckn longues années de lutte (!), ET c’est pas fini.
Et on gagne du terrain ou pas ?
Vu le bazar, vous l’aurez compris, le sujet de l’épuisement militant n’est pas neuf : il avait même fait l’objet d’un hashtag viral dans les communautés féministes il y a à peine un an (#PayeTonBurnOutMilitant).
Anaïs Bourdet, la créatrice du compte PayeTaSchnek (qui luttait via sa plateforme contre les violences sexistes et sexuelles) annonçait en ces termes qu’elle arrêtait son travail militant en ligne : “Je n’ai pas ou plus les épaules, je suis épuisée et, honnêtement, terrorisée (...). Je n’arrive plus à lire vos témoignages et à les digérer en plus des violences que je vis dès que je mets le pied dehors. La colère que j’ai accumulée en presque 7 ans me bouffe et me pousse à réagir quasi systématiquement, et la plupart du temps, ça ne fait qu’envenimer la situation”.
Plus récemment encore, les témoignages vidéo ont déferlé sur TikTok pour dénoncer les difficultés quotidiennes qu’implique le fait de lutter / défendre ses idées auprès de proches qui tiennent des propos violents et discriminants dans le contexte de Black Lives Matter.
Enfin, la journaliste et créatrice du compte Insta @BordelDeMères, Fiona Schmidt, prenait la parole sur les réseaux pour raconter son expérience de l’engagement aujourd’hui. Ou comment faire pour ne pas (trop) s’épuiser/finir par se convaincre qu’on ne sera jamais à la hauteur de ses idées dans le fond.
Ces histoires vous parlent ? Vous n’êtes donc pas seul·e. Trop de violences, de témoignages de violences, du harcèlement en ligne = souvent le quotidien des personnes qui militent. En plus d’un ras-le-bol et d’une certaine impression de se taper tout le boulot. ALORS COMMENT ON FAIT ??
Le guide self-care (non-exhaustif) du militantisme
Bon, maintenant qu’on a dit tout ça, évidemment qu’on ne va pas arrêter de lutter pour autant. Ni ce soir, ni demain d’ailleurs : on luttera tant qu’il le faudra. Quelques pistes et idées, donc, pour mieux prendre soin de vous ou de vos proches pour la suite :
#1 Consulter un·e psy/thérapeute
Parce que OUI : vivre et militer dans un monde violent et complexe est une raison suffisante pour avoir besoin d’aide. Sachant également que de nombreuses personnes militantes ont elles-mêmes été victimes de violences au cours de leur vie. L’anxiété, le Stress Post-Traumatique, le harcèlement en ligne sont donc autant de raisons de consulter un·e professionnel·le de santé pour avoir un suivi médical approprié. Par ici pour nos conseils et adresses de thérapeutes.
#2 Prendre du temps pour soi
Ça peut sembler difficile au début de débrancher la machine à penser, mais sur le long-terme, il n’y a pas de meilleur remède. Si vous êtes engagé·e sur différents “fronts” (= donner du temps à une ou plusieurs assos, faire des actions militantes, manifester, faire de la veille, créer / partager des contenus sur les réseaux…), le temps que vous vous consacrez peut vite être englouti par la somme des choses à faire et des actus qui s’incrustent dans votre agenda chaque semaine.
D’où l’importance d’avoir des rituels self-care bien ancrés : aka des plages horaires qui vous sont consacrées et que vous préservez de la tornade du quotidien (autant que possible). Une activité qui permette en plus de relâcher la pression = encore mieux (sport, chant, photo, ou pâtisserie, c’vous qui vous voyez).
#3 Chiner des techniques et conseils auprès d’autres militant·es
On vous recommande par exemple ce très bon thread de Caroline de Haas. Son astuce (entre autres) : un papier, un stylo, un système de liste. D’un côté, vous y notez les choses qui relèvent de votre responsabilité (par ex : prendre soin de votre santé mentale, vérifier les contenus que vous partagez sur les réseaux…), et de l’autre ce qui ne relève pas de votre responsabilité (par exemple, créer une politique publique à la hauteur des violences dépend des responsables politiques, pas de vous). Le but : faire le tri, et remettre les choses à son échelle pour éviter de se sentir submergé·e. Et accessoirement, s’offrir du temps offline si c’est possible ou quand c’est nécessaire.
#4 Accepter qu’il n’existe pas de militant·e idéal·e (sans culpabiliser)
Tout simplement parce que tout le monde a ses limites. Qui peuvent être physiques, comme on l’a vu (#fatigue), mais aussi parce qu’il peut-être compliqué d’aligner parfaitement sa vie quotidienne à ses idéaux. Exemple tout bête (mais très important) : c’est OK de militer pour l’égalité des genres mais d’avoir envie de lire Vogue / de danser sur Blurred Lines en soirée. C’est OK aussi de ne pas tout savoir des différentes causes / mouvements affilié·es à celle·s que vous défendez. L’important, si on fait une bourde : reconnaître ses erreurs (vraiment, ça arrive à n’importe qui), se renseigner dans des ouvrages / contenus ou auprès des personnes concernées (si ielles sont disponibles), et dormir dessus (ça marche à tous les coups).
#5 Débrancher les réseaux
Ce truc-là, tout le monde le dit, et personne n’arrive à le faire. C’est pourtant indispensable : plus encore dans la mesure où les réseaux sont le théâtre de nos luttes et de nos conversations (#millennial). Dans ce contexte, débrancher peut aussi passer par le fait d’aller à la rencontre de personnes de la communauté militante à laquelle vous vous sentez appartenir si ce n’est pas quelque chose dont vous avez l’habitude. Une conférence, un atelier, une soirée = des points de vie récupérés + maybe des nouveaux·elles allié·es pour affronter la suite.
#6 Choisir ses batailles (d’une manière ou d’une autre)
L’injonction à la pédagogie c’est NON : pour rappel, personne ne vous oblige à éduquer toutes les personnes qui passent sur votre chemin, encore moins celles qui vous poussent dans vos retranchements à base de “tu vois que t’as aucun argument”. Et dans le fond, on se dit que c’est peut-être aussi de ça dont il est question, dans le “On se lève et on se casse” d’Adèle Haenel, de Céline Sciamma, ou d’Aïssa Maïga. De trouver différentes manières, toutes plus créatives et ingénieuses les unes que les autres de militer, y compris celles qui impliquent de se casser. Parce que ça semble être le geste le plus cohérent sur le moment. Parce que ça peut aussi être un geste qui protège.