Comment sortir du perfectionnisme toxique ?
Courrier de l'introspection #5
Cette semaine, Anissa conseille A. en quête de perfection dans tous les domaines de sa vie, qui vit désarroi et angoisses face à certains aléas. Pour lui envoyer tes questions, tu peux écrire à [email protected].
La question
Bonjour Anissa,
Ma question est : comment arriver à lâcher prise ? Mon besoin de perfection est un atout mais un défaut qui me ronge également. Parfaite dans mon travail (médecin généraliste), parfaite en sport (quête du corps), parfaite en nutrition (manger équilibré), parfaite en amitié, ect... Ça semble si plaisant quand tout va bien mais mon château de perfection s'écroule face aux difficultés (angoisse...).
Merci de ton retour.
La réponse
Chère A,
Vous l’avez déjà constaté et ressenti, le perfectionnisme peut être bénéfique et moteur dans certains contextes, comme il peut aussi être plombant voire toxique. C’est une très bonne chose que vous soyez consciente de vos stratégies d’adaptation. Être une femme irréprochable, brillante, une pépite qui réussit dans tous les domaines, cela a le potentiel de porter considérablement sur la psyché.
Ce qui se joue : les normes incroyablement élevées que l’on se fixe peuvent conduire à un sens déformé de l’estime de soi, en plus des niveaux élevés de stress et la charge mentale.
Souvent, le perfectionnisme révèle un besoin de reconnaissance. Il est problématique quand il devient systématique par souci de plaire ou par peur de déplaire, et lorsqu’il vient compenser une estime de soi fragilisée.
Je constate dans ma pratique que les profils de femmes à tendance perfectionniste sont plus particulièrement touchés par les troubles anxieux, l’épuisement professionnel (parfois le burn out), parce qu’elles pensent que la qualité de ce qu’elles produisent, donnent, créent… reflète leur valeur.
Comment en sommes-nous arrivées à un tel niveau de pression ?
Force est de constater que depuis des générations chez la gente féminine, on a transmis des injonctions très fortes poussant la femme à se mettre au service des autres, voire à se dévouer sacrificiellement… et il me semble que certaines inductions sont encore bien présentes à notre époque.
Puis est venu s’ajouter à cette sauce le perfectionnisme “valorisé” par la société, aka l’injonction à la perfection, relayée par les clichés de la publicité, les icônes du divertissement, plus récemment les influenceuses et les réseaux sociaux…dont nous nous sommes infusées et emparées de certains codes, par mimétisme bien souvent.
Clairement, nous baignons dans une culture du « bonheur obligé » qui nous exhorte à être parfaite et performante dans tous les domaines.
Du coup, le besoin de perfection devient toxique puisqu’il instaure des normes impossibles à suivre et véritablement illusoires. Et en s’imposant (consciemment ou inconsciemment) des exigences très élevées, on porte directement atteinte à l’estime de soi, donc au regard que l’on porte sur soi-même.
Et cela entraîne des collatéraux sur le temps long : on peut devenir peu enclin à l’expérimentation, on ne fait que ce qu’on connaît bien, on reste dans le cadre quitte à rester dans un “confort inconfortable”, on devient irritable face aux aléas et imprévus, critique et dans le jugement. Ce qu’on ne maîtrise pas nous fait (très) peur. Qu’on se le dise : le perfectionnisme toxique rabougrit et enferme.
En ce qui vous concerne A., vous semblez cumuler deux types de perfectionnisme : le perfectionnisme orienté vers soi et le perfectionnisme socialement prescrit. (Il existe par ailleurs un perfectionnisme orienté envers les autres qui consiste à imposer des normes irréalistes aux autres et les évaluer très sévèrement).
Quelles blessures se cachent sous ces comportements d’adaptation ?
Je vous propose une hypothèse à vérifier et discerner en fonction de votre vécu. Selon moi, les comportements de perfection ou syndrome de la fille parfaite (ou du “bon petit soldat”) se construisent dès le plus jeune âge. Dans de nombreux cas, ils se développent en réaction à une blessure de rejet et d’injustice (un parent défaillant, maltraitant, absent, souffrant, dépressif, instable, colérique… par exemple). En réaction, en adaptation à et dans le but de dissimuler cette blessure, l’enfant qui s’est senti rejeté pour une raison ou pour une autre tente de se faire accepter/aimer en étant le plus parfait possible. Il décide donc de se contrôler davantage et de devenir tellement parfait qu’il ne sera jamais rejeté.
NB : une programmation, des comportements d’adaptation qui fonctionnaient bien pendant notre enfance montrent des limites et deviennent obsolètes dans notre vie d’adulte. Les thérapies stratégiques peuvent être salutaires pour reprogrammer et/ou mettre à jour les comportements et postures.
En avez-vous déjà entendu parler ? Ce n’est pas un syndrome reconnu psychologiquement parlant, mais c’est une construction que l’on constate fréquemment chez des filles et des femmes. Cette construction regroupe un ensemble de comportements adoptés dans le but répondre aux attentes - présupposées - de son entourage dans le but de se faire accepter et aimer.
Les principaux symptômes :
☼ être obnubilée par le besoin d’être irréprochable et ne jamais faire de vagues
☼ être polie, serviable, faire plaisir et avoir du mal à dire non
☼ vouloir être une bonne collègue, bonne girlfriend, bonne amie, mère parfaite
☼ avoir du mal à prendre des décisions (adepte des non choix ou du statut quo)
☼ avoir besoin de la validation des autres pour faire un choix
☼ avoir des difficultés à savoir qui on est, ce qu’on veut (identité, désirs, rêves)
☼ rester uniquement dans des domaines qu’on connaît très bien et s’interdire de prendre des risques
☼ juger l’échec ou faire des erreurs comme une faiblesse
Ceci n’est pas un effet barnum :). En vérité, nous sommes nombreuses à nous reconnaître dans ces symptômes (le hashtag #goodgirlsyndrome comptabilise près des millions de vues sur Tik Tok !).
Comment lâcher prise ?
On nous apprend à être sage, à obéir et à se comporter comme un bon petit soldat. Et pourtant de ma petite expérience, il me semble que pour progresser et se réaliser dans nos vies d’adultes, ce ne sont pas les qualités aqéquates pour ouvrir de nouvelles portes vers ce qu’il y a de plus délicieux et libérateur pour son vrai soi.
Je dirais que de premières pistes de solutions se trouvent dans :
#1 le freestyle, l’imprévu, la désobéissance, l’aventure, l’expérimentation : sortir du cadre, s’autoriser à être nonchalante, aventureuse et tordre le cou à certaines habitudes et comportements, le plus souvent possible.
#2 l’acceptation de sa vulnérabilité et de son humanité, qui se base sur tous types d’expérience : on fait, on teste, on pleure, on foire, on prend des chemins biscornus, on bifurque…bref on chemine, on apprend, on progresse, on vit ma foi !
#3 la capacité à se donner soi-même toujours plus et toujours mieux sa propre reconnaissance, en conscientisant ce qu’on fait de bien, en célébrant ses petites victoires et fiertés, sans dépendre du regard et de la reconnaissance d’autrui, sortir du besoin de validation.
#4 le fait de s’affirmer, dire “non” plus souvent, refuser certaines sollicitations pour se préserver, s’alléger des contraintes et des injonctions vis-à-vis de soi-même.
#5 le repos, l’art d’être oisif plus souvent et se lâcher la grappe (fort)
Que 2023 vous apporte un bon vent de liberté, de l’audace et la création de beaucoup de belles aventures.