Je t’aime, je te possède

 

Un petit détour par le dictionnaire pour (se) mettre les points sur les i, ça vous dit ? Allons-y. Selon le Larousse, la jalousie peut se définir comme un “sentiment fondé sur le désir de posséder la personne aimée et sur la crainte de la perdre au profit d'un rival... Ce qui est une bonne manière d’introduire notre sujet en y mettant carrément les deux pieds : il y aurait donc, dans la jalousie, une espèce d’infusion douce-amère cuisinée à base de volonté de contrôle de l’autre et de peur de le perdre. Ou, pour le dire autrement, une confusion entre amour et possession.

 

Bon. Maintenant qu’on a posé (vénère) les termes du débat, on fait quoi ? Parce que c’est précisément tout le problème avec la jalousie : on a beau bien capter tous les concepts, se dire en théorie “qu’on ne devrait pas”, “qu’on ferait mieux de faire confiance à l’autre” ou de “travailler sur notre capital confiance en soi”... Quand elle s’amène, elle prend la forme d’un sentiment dévorant, irrationnel. Ou comment perdre pied avec la réalité, même quand on est bien renseigné·e.

Les conseils des potes qui recommandent de se calmer et d’arrêter de stalker ? Rien à carrer. Les certitudes que l’on avait, la confiance que notre partenaire nous inspirait ? Envolée. Les road-trips intellectuels sur le couple libre et la non-possessivité ? Oubliés.

 

 

Les rom-coms, ou comment faire du beurre avec la jalousie

 

Le contexte est donc posé : la jalousie, comme l’amour, est un sentiment qui prend aux tripes. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ces deux sentiments sont très (trop ?) souvent associés, vous-même vous savez. Car la culture de l’amour romantique nous “vend” un modèle relationnel dans lequel il est question d’être le/la seul·e, l’unique. L’amour de la vie de l’autre, au singulier. Le tout, en cultivant, au passage, l’idée selon laquelle plus on souffre… Eh bah, plus on aime, en fait.

 

Vous voyez où on veut en venir ? Les histoires que nous nous racontons sur ce qu’est l’amour et sur ce qu’il doit être jouent beaucoup dans la manière dont nous vivons nos histoires de cœur.

Alors comment ne pas être jaloux·se quand on évolue dans un monde qui banalise voire valorise ce sentiment - au point de le considérer comme une preuve d’amour ? Il suffit de jeter un œil aux grands classiques des rom-coms pour le capter : bien souvent, les love stories des personnages se fondent sur un principe de rivalité. Lui ou toi. Elle ou moi. Coucou Bridget Jones, Orgueil et Préjugés ou (tous) les autres. Dans tous ces films, l’arc narratif se tisse et se tend sur un principe très simple (et efficace) : en amour, il faut choisir. Et aussi (surtout ?), être choisi·e.

 

 

Quand on aime, on est jaloux·se… Vraiment ?

 

Vous vous souvenez quand on se demandait ++pourquoi nos ami·es ne pourraient pas être les grands amours de notre vie ++? Dans cet article, on vous parlait d’un truc hyper-important et dominant au rayon jalousie : l’amatonormativité. Kesseussé ? Disons, grosso modo, que c’est un concept qui a été inventé par la prof’ de philo Elizabeth Brake pour dénoncer la norme (dominante et écrasante par chez nous), qui dit que les relations de couple sont supérieures aux autres modes de relation entre les personnes.

 

Et on parle bien de relation de couple et pas de relation amoureuse. La différence ? Un couple se vit à deux. Pas plus. À deux comme dans “pas de place pour d’autres”. Que ce soient d’autres désirs ou d’autres personnes. Ou encore d’autres manières d’être soi.

Dans sa (géniale) BD Les Sentiments du Prince Charles, l’autrice Liv Strömquist s’appuie sur les enseignements du prof Eckhart Tolle pour illustrer à merveille cette idée. On peut ainsi y lire cette citation très parlante : “Si dans vos relations amoureuses vous ressentez à la fois de l’amour et son contraire : agressivité, violence affective, etc… Il est probable que vous ayez confondu l’amour avec les liens de l'ego et la dépendance. Vous ne pouvez pas aimer votre partenaire et l’agresser l’instant d’après. Le véritable amour n’a pas de contraire. Si votre amour a un contraire, ce que vous ressentez n’est pas de l’amour (...).

 

Dans le sillage de la pensée féministe, qui s’attache à révolutionner et repenser nos rapports et mythologies amoureuses (merci et bisous à Victoire Tuaillon et son podcast Le Coeur sur la Table, soit dit en passant), on pourrait donc tenter d’imaginer d’autres manières d’aimer qui puissent mettre au tapis ces diktats étouffants. Qui rebattent les cartes des rapports de pouvoir. Qui questionnent la dépendance affective, le tout-ou-rien des relations exclusives. Et se dire que la jalousie n’est qu’un symptôme d’un problème (bien) plus grand : la norme hétéro-monogame.

 

 

Jalousie : à qui profite le crime ?

 

Si cette norme pose problème, c’est aussi (et surtout) parce qu’elle trouve ses racines et qu’elle forge sa mythologie dans une culture de l’amour qui s’appuie sur la domination masculine. L’histoire du couple ? C’est ni plus ni moins celle d’une répartition genrée des rôles au sein de la société, comme le rappelle très bien la sociologue Sonia Dayan-Herzbrun dans l’épisode Trouble dans le couple d’Un podcast à soi de Charlotte Bienaimé.

Pour le dire plus clairement, c’est parce que la construction de la féminité s’appuie sur la gestion des émotions et de l’espace domestique que les personnes qui se construisent socialement en tant que femmes ont tendance à surinvestir leurs relations amoureuses. Quitte à désinvestir leur rapport à elle-même ou à leurs carrières. Résultat ? Parce qu’elles s'impliquent bien davantage dans leurs couples, elles sont naturellement plus enclines à penser que perdre leur partenaire reviendrait à tout perdre après avoir tout donné. C’est d’ailleurs sur ce système vieux comme le monde que s’appuie la fabrique des rivalités féminines : le fameux “je me méfie de cette conne, elle va me voler mon homme” (pour le dire grossièrement).

 

Cerise sur le gâteau : la jalousie se fait l’écho et la caisse de résonance des rapports de genre et de leurs déséquilibres. Which means que dans une relation de type cis-het, les hommes sont jaloux par envie de posséder leurs partenaires et ont tendance à les slutshamer quand elles suscitent du désir chez d’autres hommes. Tandis que les femmes sont jalouses par peur de perdre celui qu’elles aiment, et ont tendance à se dévaloriser si elles soupçonnent qu’ils aient envie d’aller “voir ailleurs” (que ce soit vrai ou pas d’ailleurs).

Bref : parce que la masculinité et la féminité se construisent sur des archétypes étouffants, elles fabriquent toutes deux des insécurités, et donc, de la jalousie. On ne vous le dira jamais assez : go (re)lire Les Sentiments du Prince Charles qui démonte avec brio (et cynisme) ces problématiques et mécanismes.

 

 

Réinventer l’amour, c’est aussi repenser la jalousie

 

Appelons un chat un chat (et un problème un problème) : l’amour, plus encore dans la manière dont il est construit culturellement, est un sentiment tellement fort qu’on se retrouve vite pris·e dans un tourbillon d’émotions qui nous semblent ingérables. Parce qu’on a peur de perdre l’autre. Parce qu’on voudrait être aimé·e, valorisé·e, validé·e. Parce qu’on manque de modèles et de mythologies pour aimer autrement - autant que de confiance en nous-mêmes.

 

Alors bien sûr que la question se pose : comment réinventer l’amour quand personne ne nous montre comment faire ? Quand tout le monde nous dit qu’aimer c’est être jaloux ? Quand on a tendance à indexer la valeur de nos sentiments et leur intensité sur la complexité de nos relations et leur toxicité ?

 

On ne va pas se mentir : tout est à réinventer. À réinvestir. Et surtout à discuter. Comme d’hab’, la communication est la clé : la jalousie n’est pas un problème tant qu’on peut en parler. Tant qu’on est prêt·es à creuser, ensemble, sur ce qu’elle raconte de nos insécurités, de nos besoins d’être rassuré·es.

Dans La Salope Éthique, les autrices Donnie Easton et Janet W. Hardy s’attachent précisément à dédramatiser la jalousie - pour en faire un sujet de conversation comme un autre, un outil pour apprendre à mieux se connaître, se comprendre, se faire confiance. Elles disent : (...) certains croient que la jalousie est une émotion si dévastatrice qu’on ne peut rien y faire. On doit forcément y succomber. (...) Nous sommes persuadées du contraire. Nous en sommes arrivées à la conclusion que la jalousie était une émotion comme une autre. Elle fait mal (et parfois très mal) mais honnêtement on n’en meurt pas. Nous avons aussi découvert que beaucoup d’idées préconçues sur la manière dont les choses devraient être et qui mènent à la jalousie peuvent être désapprises, et que ce processus de désapprentissage est très utile.

 

Les grand·es master du polyamour et des relations libres vont même encore plus loin, avec ce que l’on appelle la “compersion” - c’est-à-dire “le bonheur ressenti lorsqu'un être aimé aime quelqu'un d'autre, par opposition à la jalousie.

 

Bon. On vous laisse méditer là-dessus ? Et on en profite pour vous dire, au passage et pour terminer, que si réinventer l’amour revient à ne plus faire du couple le nombril du monde… Eh bien ça fera plus de place pour vos amitiés. If you love somebody, set them free, t’sais.