La question

 

Chère Anissa,

 

Comment rester amis quand on évolue sur des trajectoires différentes? Quand on change soi-même et qu’on trouve que nos anciens amis ne respectent pas nos nouvelles façons de vivre ou manifestent des comportements limites voire toxiques ?

 

Merci pour votre temps.
 

La réponse

 

Chère A.,

 

Tu expérimentes l’asymétrie relationnelle que l’on peut toustes vivre lors de franchissement de caps, quand nos vies d’adultes se transforment . Que se soit avec de nouvelles responsabilités pro, de nouveaux défis perso, de nouvelles relations amoureuses ou amicales, des déménagements…tous ces changements induisent des évolutions dans la maturité, les perceptions et les postures face à certaines situations. Et chemin faisant, ces nouveaux caps induisent des mises à jour de la topographie de nos cartes de l’amitié.
 

Le fantasmé et si vulnérable pacte d’amitié

 

À une époque où les couples, les voies professionnelles, les certitudes face à la vie sont devenus plus fragiles, nos amitiés catalysent une forme de fantasme du “c’est pour la vie”. Et à y regarder de plus près, elles servent des fonctions hautement symboliques :

  • elles nous rattachent à une période de notre vie et servent de fil conducteur, de témoin de notre existence. - elles rassurent, elles ancrent, elles réchauffent et adoucissent la vie.- elles comblent un besoin de sécurité, de continuité, de stabilité, pas toujours facile à créer dans les autres sphères de nos vies.

Comme en amour, l’amitié nous rend très vulnérable. Elle nous expose aux déceptions, aux pertes, aux désillusions et à la possibilité de voir nos attentes négligées voire rejetées. L’amitié a aussi ce pouvoir de créer de profondes failles et bouleversements intérieurs dont on ne conscientise pas toujours l’impact. Pour rappel : l’amitié, c’est aussi de l’amour.
 

Le contrat psychologique et ses mises à jour

 

Pour schématiser, l’amitié se construit sur la base d’un contrat implicite qui résulte des demandes conscientes (soutien, bienveillance, écoute, complicité etc…) et inconscientes (construites à partir des expériences du passé). La relation peut s’épanouir dès lors que le “contrat implicite de relation” est incarné et agréé par les 2 partenaires.

 

Mais là où ça se corse, c’est que le contrat est dynamique, puisqu’il évolue en fonction des itinéraires de vie de chacun. Comme toute entité et énergie vivante, tout est en mouvement perpétuel et donc tout peut changer.

 

Les terreaux du changement sont souvent : une nouvelle relation amoureuse, un nouveau cadre de vie, des jobs différents qui incluent des cercles et milieux sociaux différents -ou alors des visions du monde qui divergent-, un enfant, et parfois une thérapie… Tout ne peut être symétrique à chaque instant. Et surtout, tout arrêt dans l’évolution du contrat conduit à des difficultés dans la relation.

 

J’ai appris à travers mon expérience personnelle -supplément pratique professionnelle- qu’en dépit de nos souhaits, des amis peuvent parfois devenir de simples potes, ou inversement de simples connaissances peuvent devenir de véritables amis. Les amis d’aujourd’hui ne seront pas forcément ceux de demain. J’ai aussi constaté qu’il ne suffit pas juste d’une trahison, d’une dispute ou d’un événement grave, puisque bien souvent l'effritement des relations est juste victime du cycle de la vie.

 

Et en ce qui concerne les crises de confiance, je ne pense pas qu’elles soient la résultante d’une simple dispute ou désaccord. À mon sens, elles sont le symptôme d’éléments plus complexes. Ce qui se joue en coulisse est une phase de “différenciation” entre les 2 parties du couple amical (comme en amour, l’amitié suit un processus d’idéalisation et de phases de désenchantement). Cette phase peut nécessiter une redéfinition du pacte fondateur, et une investigation des attentes qui fondent le socle inconscient de la relation d’amitié.

 

Dans les cas où ton système de valeur est touché, si tu ressens de la frustration, de la rancœur, de l’injustice, que tu te sens bafouée, déçue, pas respectée… et que le pardon devient un chemin de croix, il convient de soulever les questions qui fâchent.
 

Prendre le pouls de l’état de ta relation ici et maintenant

 

Peut-être que des relations méritent certains ajustements pour être + nourrissantes ou plus égalitaires. Peut-être que d’autres nécessitent que tu t’interroges sur la nécessité de les maintenir. Avant de prendre une décision, on peut se demander ce qu’on peut faire pour provoquer un sursaut qualitatif dans ses liens.

 

Pour avancer dans ce sens, je te propose un exercice ludique de visualisation et de projection sensorielle. l’objectif : évaluer, avec l’ensemble de tes sensations, l’état de la relation qui te pose problème actuellement.

 

Si mon ami.e était ………… ce serait……………………..

 

un animal (exemple : une souris)

un végétal (exemple : un coquelicot)

un minéral (t'as capté le concept ;-))

une saveur

une odeur

une couleur

une texture

une aliment

un objet

un paysage

un personnage

un climat

un film

 

Que constates-tu ? Quelles émotions te traversent à la lecture de ces réponses ? Qu’est ce que cette relation t’apporte ? Qu’est ce qui te manque dans cette relation ? Que peux-tu faire pour être davantage nourrie dans cette relation et combler ce qui te manque ?
 

Crédit photo : Pexels / Anna Shvets
 

Quoi faire sans la jouer forceuse

 

Pourquoi pas dans un premier temps de créer une discussion apaisée IRL, dans des contextes et cadres propices au kiff, à la détente, à l’échange, à l’apaisement… pour évoquer les comportements et situations qui posent problème. Discuter des comportements désirés, pour enfin en arriver à un nouveau contrat de relation. Idéalement, chacun doit être capable d’écouter, de prendre en compte, de démontrer la volonté de se remettre en question et de changer raisonnablement ce qui doit être changé (si possible, sortir des SMS, des vocaux ou de tout élément textuel -à moins de vivre dans des pays différents-).

 

Tips pour formuler tes messages avec clarté

 

Lors des discussions sur les zones de problèmes, il peut être aidant de respecter un type de formulation pour éviter les accusations, reproches, attaques et surtout exprimer ses émotions de façon à régler un problème. Objectif : viser le comportement dans son contexte précis.

 

Exemple : Lorsque tu fais A, dans la situation B, je me sens C

 

Exemples concrets :

 

-”Lorsque la semaine dernière, tu as répondu à mon message 3 jours après, je me suis sentie négligée”.

-”Lorsque tu me demandes des nouvelles après un examen, je me sens soutenue”.

-”Lorsque tu as haussé le ton durant cette conversation, ça m’a blessé”.

-”Quand il m’est arrivé cette chose grave, j’aurais aimé t’avoir à mes côtés”.

 

À bannir : Les “toujours”, “jamais”, “ à chaque fois”, en bref pas de généralisations, ni d’extrapolations. Sois précise et contextualisée, et parle de tes émotions et de tes besoins.

 

Si même lorsque tes messages sont exprimés proprement, la réponse en face est bloquante, dans une forme de rejet, de déresponsabilisation, dans l’orgueil ou la surréactivité : jauge par toi même si cela correspond à ce que tu veux trouver dans une relation de confiance. La capacité d’accueil, d’écoute et de remise en question de l’autre sont aussi des réponses comportementales à prendre en compte pour une mise à jour du pacte d’amitié.

 

Si tu es la seule à faire des efforts pour faire en sorte que ça fonctionne : RED FLAG.
 

Les impasses : s’éloigner ou couper court ?

 

Dans les cas où tu aurais le sentiment de tourner en rond, si tu ne te sens plus nourrie dans la relation, si tu te sens incompris.e, ou si une forme d’ennui s’est installé, l’éloignement temporaire ou mise “en pause” pourrait aider. À mon sens, ce choix induit une discussion ouverte et bienveillante, pour exprimer à l’autre ce qui se joue en toi à ce moment de ta vie et ce que tu attends du lien pour la suite. (Si tu tiens vraiment à cette relation, évite le silence radio, le ghosting ou encore la passivité -en gros de mettre le sujet sous le tapis-). Je recommande de prendre les devants et de te responsabiliser face à ce qui te pose problème.

 

Dans des cas plus extrêmes, entretenir une amitié à n’importe quel prix n’est pas recommandable. Si le lien est malsain, qu’il y a trop de problématiques qui touchent au système de valeur, si l’un·e vampirise l’autre, s’il y a préjudice moral, physique, si on est inquiet·e et stressé·e plus que de raison à cause de l’autre, s’il y a nuisance (volontaire ou involontaire), s’il y a manque de respect et de la non-réciprocité… là, on peut parler de toxicité. On peut dans certains cas trouver des dynamiques type relation de sauvetage, ou encore des relations d'emprise pernicieuse, qui ne sont hélas pas de l’amitié.