Laissez-nous courir tranquilles en fait
Courir quand on est une femme c’est courir un risque
Du droit de courir sans être harcelée et de se réapproprier l'espace public.
Kathrine Switzer ça vous dit quelque chose ?
Eh bien, préparez-vous à l’ajouter à votre tableau des queens de ce monde.
Pionnière du marathon féminin à 20 ans, Kathrine a concouru illégalement celui de Boston en 1967 alors réservé aux hommes, en s’inscrivant uniquement sous ses initiales. Un an avant, Roberta Gibb, tentait de courir sans inscription en sortant d’un buisson.
Kathrine Switzer fut éjectée par les organisateurs du marathon qui tentèrent de lui arracher son dossard au 6ème kilomètre. Elle pu finir sa course aidée de son petit-ami (comme quoi on peut être un allié OK) et franchir la ligne d’arrivée mais la direction la disqualifia et elle fut suspendue de la fédération américaine d'athlétisme.
Par son acte héroïque, Kathrine Switzer a pu prouver que les femmes étaient capables de courir le marathon et elle a passé sa vie à défendre le droit des femmes à courir. En 1972, le marathon de Boston s’ouvrit enfin aux femmes.
Kathrine Switzer, marathon de Boston 1967
Compétition Morat-Fribourg, octobre 1975
Aujourd’hui, les femmes peuvent enfin s’inscrire aux courses et certaines d’entre elles sont même exclusivement féminines (la Parisienne, la Grégorienne, etc.). Pour autant, la route est loin d’être sans embûche pour les runneuses d’aujourd’hui qui subissent régulièrement harcèlement et agressions.
Le défi de Claire Joly
Que vous courriez ou non, on ne va pas vous la refaire : si vous êtes une femme, vous vous êtes déjà sentie unsafe dans l’espace public. Marathonienne ou runneuse du dimanche, on parie qu’il est impossible de ne pas penser, en faisant ses lacets, aux Hondelatte Raconte sur les disparitions de joggeuses dans les forêts.
Y’a plus enthousiasmant comme défouloir non ?
À 29 ans, Claire Joly, parisienne, fait partie de la team coureuses régulières. Dernièrement, elle s’est lancé un défi qu’elle a appelé #MentalRun : courir tous les jours au mois de juillet pour reporter en story Insta les interactions négatives, le harcèlement voire les agressions qu’elle pouvait subir à chacun de ses parcours. « Les agressions augmentaient de manière exponentielle et j’ai mis beaucoup de temps à réaliser que c’était du harcèlement » nous explique Claire. « Il y a eu plusieurs éléments déclencheurs pour moi. Certains ont été suffisamment forts et violents pour que j’ai envie de passer d’un statut de personne qui subit, donc victime de harcèlement, à une personne qui va agir pour sensibiliser. »
Les tips de Claire après 1 mois à courir tous les jours :
Pas de remède miracle. « Et ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de remède miracle qu’il ne faut pas courir. Ensuite il faut se connaître et savoir dans quel contexte on est la plus à l’aise pour aller courir, donc moi ce que je vais indiquer n’est pas forcément valable pour chacune. »
Se connaître, connaître son environnement, savoir où on peut aller sont déjà les premières étapes.
Privilégier le midi, il y a peut être des moments durant lesquels on se fait moins embêter comme le midi dans les parcs quand les gens sont en pause déjeuner. Courir quand il fait nuit que ce soit le matin très tôt ou le soir très tard peut être potentiellement plus anxiogène. « Je dis pas forcément plus dangereux mais plus anxiogène pour moi donc j’évite au maximum. »
Utiliser les balises GPS ou un AirTag qui transmettent en temps réel ses coordonnées à son entourage et qui peuvent aussi permettre d’appeler les secours en un clic.
Donner son parcours à un proche avant de partir quand on sait qu’on sera isolée.
Garder un téléphone avec de la batterie.
Se tourner vers des assos de running mixtes et très fréquentées par les femmes. Sachant que le running est un sport assez mixte et équilibré en termes de fréquentation.
Courir en groupe peut être une solution, « mais ce n’est pas la réponse à tout parce qu’on peut aimer courir en groupe mais on peut aussi aimer courir seule et c’est important que les femmes se sentent libres de courir seules où bon leur semble sans être accompagnées par quelqu’un ».
Rien ne sert de courir, on est toujours en retard sur les doubles standards.
Claire nous rapporte les fois où elle a été suivie pendant plusieurs mètres par un homme dans la rue ou lorsqu’en courant dans une rue sombre et mal éclairée, deux hommes se sont approchés pour lui crier des choses obscènes. « Il y a plusieurs images mentales qui sont restées en moi et qui ont été suffisamment fortes pour avoir un impact et une conséquence néfaste sur ma pratique du sport. Depuis, je dois négocier avec cette variable de harcèlements potentiels”. Des harcèlements, qui, remettent en cause ses parcours, afin d’éviter les ruelles sombres ou les quartiers moins safe, mais aussi le choix de ses tenues.
Est-ce que je mets juste un soutien-gorge de course ou est-ce que je mets un t-shirt plus long, est-ce que j’assume le crop top et le short ? Autant de questions que Claire se pose désormais avant de fouler le trottoir. Pour elle, le pire a été de constater que le bien-être physique et mental qu’elle tire de la course était entravé par des comportements intrusifs : « Même courir demande une charge mentale quand on est une femme et pour moi c’est tout le paradoxe qui est hautement problématique. On court pour se faire du bien au corps, à la tête, à l'esprit et pourtant parfois on ressort encore plus énervée, encore plus agacée parce que l’on subit un harcèlement ou une agression. »
Aaah être une femme dans l’espace public….
Gardez vos applaudissements, on a juste envie de transpirer en paix.
Loin d’être étonnée des résultats de son défi, Claire semble avoir poussé sa réflexion plus loin notamment sur des points qui lui paraissaient à la base insignifiants : « ce qui me posait problème mais que je n'arrivais pas à définir comme du sexisme, c’était notamment les pouces en l’air ou les applaudissements que l’on fait à mon passage, notamment quand je monte les marches du Sacré-Cœur ». Eh oui car, ce qui peut être vu à la fois par les hommes et les femmes comme une forme d’encouragement positif face à une pratique sportive, est en réalité du contrôle social. On se rend bien compte que les hommes ne subissent pas les mêmes regards dans la rue. « En vérité, si ça touche seulement les femmes, la conclusion est assez simple : c’est du sexisme. »
Claire relate la peur qu’elle a pu ressentir un nombre de fois incalculable à Paris, « malheureusement mes meilleures performances sportives sont liées au stress que je vis quand quelqu’un vient me parler parce que mon rythme cardiaque va s'accélérer et que mon réflexe c’est de prendre mes jambes à mon cou. » Cette peur vient entraver sa liberté quand elle l’empêche de courir l’hiver, après 21h ou quand elle la force à porter un t-shirt et non pas une brassière de sport sous 35 degrés quand Jean-Mich, lui, peut courir torse-nu dans le plus grand des calmes. Finalement, ce défi aura permis à Claire de déclencher des conversations avec des hommes et des femmes, sportif·ves comme non-sportif·vess. « Je trouve ça intéressant de faire prendre conscience à ceux qui ne subissent pas ce harcèlement de rue, qu’il existe et qu’il est problématique, car on a besoin de l’aide de tout le monde pour essayer d’y mettre un terme. » Enfin, en réponse à ses stories, Claire reçoit beaucoup de réponses de femmes de différents niveaux sportifs lui relatant des situations similaires et s’identifiant totalement à ses propos. « La plupart subissent ces remarques problématiques. Notamment à Paris, c’était de l’ordre du 100%. »
J’ai un rêve… d’une ville qui protègerait les femmes* *
En parlant de sport, depuis petites, on nous apprend que la plus grande partie de la cour est réservée aux garçons, à cet âge symboliquement ce n’est pas rien. On a intégré que ce sont eux qui ont la place dans la rue, qui ont le droit d’y jouer mais aussi d’y traîner. Tandis que les femmes dans la rue, on attend d’elles qu’elles se tiennent ou soient toujours en mouvement. En France d’ailleurs, près d’1 femme sur 3 éprouve un sentiment d’insécurité dans son quartier et 100% des utilisatrices de transports en commun ont été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d’agression sexuelle.
Car si la ville et son évolution progressent dans le sens du développement durable, que penser de la diminution de l'éclairage dans les villes au dépend de la sécurité des femmes ? Ainsi l’urbaniste Pascale Lapalud, qui travaille pour la plateforme de recherche et d’action “Genre et Ville”, affirme à juste titre « la ville est faite par et pour les hommes ». Tout comme le sport finalement, qui reste un terreau de sexisme ordinaire car il a été institutionnalisé dans la seconde partie du 19ème siècle quand les femmes étaient alors exclues de la citoyenneté politique et que leurs corps devaient rester cachés.
Au-delà des actions individuelles dont parlait Claire dans ses tips plus haut, une lutte pour un espace public égalitaire doit donc être menée. La ville de Vienne a par exemple, dès 2006, mis en place un budget genré qui intègre le critère du genre dans l’élaboration des politiques publiques. Cela passe aussi par des changements de signalétiques représentant autant d’hommes que de femmes avec des enfants par exemple. La ville de demain au même niveau que la société doit s’adapter à l’évolution des normes de genres et protéger les femmes et les minorités dans la rue. Pour Claire, continuer à faire du sport dans l’espace public s’apparente à un acte politique « plus on sera nombreuses et nombreux à en parler, moins il y aura, je croise les doigts, de comportements problématiques. »
Allez, cours Forresta cours, rendons queen Kathrine proud !
(oui on s’est chauffées)
Pour suivre Claire : @clajoly
Ségolène Montcel