Vivre en dehors des normes binaires

 

Dès le premier chapitre, la journaliste nous embarque dans la déconstruction du thème le plus brûlant de notre époque : le genre. Selon les recherches de la biologiste Anne Fausto-Sterling, elle explique que nous n’avons pas un caractère sexué mais plusieurs, les hormones (testostérone, oestrogène, progestérone), les gonades (ovaires, testicules), les chromosomes (X,Y) et les parties génitales (pénis, vagin). Les variations en fonction de ces différentes caractéristiques sont nombreuses et concernent : « 1,7% de la population mondiale, soit 136 millions d’individus intersexes ». Selon elle, il est donc parfaitement stupide et dangereux de vouloir à tout prix se conformer à un seul modèle binaire, dénonçant ainsi les mutiliations faites à ces personnes.

Elle enchaîne en se penchant sur le sujet de la non-binarité et de la transidentité en rappelant quelques chiffres, notamment que « 14% des 18-44 ans se définissent comme non-binaires » (étude pour l’Obs en 2019) et conclue ce premier chapitre avec un rappel de la théorie queer qui explique que le genre n’est qu’une performance. Un futur libéré des carcans du genre serait beaucoup plus fluide, tout le monde pourrait emprunter à tous les vestiaires, faire du rugby, pleurer, choisir une vie sans enfant et sans jugement. Que l’on soit trans, non-binaire ou pas, tout le monde y gagnera !

 

 

Questionner l’hétérosexualité

 

Dans cette deuxième partie, Lauren Bastide explore la question de la sexualité en y intégrant un peu de son histoire personnelle en tant que femme bisexuelle. Elle nous explique sa démarche ainsi : « Très tôt dans l’écriture du livre, je me suis rendue compte que pour rendre les choses accessibles par tout le monde, même les personnes qui n’étaient pas sensibilisées à ces questions, il fallait que je donne des exemples hyper pragmatiques. L’exemple le plus facile était moi ».

Elle rappelle par la même occasion que sortir de l’hétérosexualité n’est pas une question de qui couche avec qui, mais d’arrêter les dominations systémiques dues à l’hétérosexualité (la charge domestique, l’obligation de faire des enfants, les jeux de séductions codifiés…). On le rappelle avec elle : le futur c’est aimer qui on veut sans contrainte.

 

 

Avoir une vraie justice qui répare

 

La justice est un axe majeur d’une société vraiment égalitaire. Avec le mouvement MeToo, les prises de parole publiques ont explosé sur le sujet des violences sexistes et sexuelles. Autour de soi, chacun·e détient son historique personnel, c’est un phénomène majeur. Pourtant : « Il y a au moins 50 000 viols par an en France. Si l’on se dit qu’il faudrait mettre au moins 50 000 hommes tous les ans en prison… » réfléchit Bastide en citant Gwenola Ricordeau, chercheuse anticarcérale.

Alors que faire ? Elle avance les pistes de la justice réparatrice en démontrant l'inefficacité des prisons. Trop radicale comme pensée ? Pour elle : « On peut être radical dans la complexité, dans la nuance, dans l’amour ». Comme la justice pourrait l’être aussi.

 

 

Prendre soin des autres

 

De son propre avis, son chapitre sur le care est le plus important du livre. Prendre soin des autres, y faire attention, s’intéresser au bien-être profond de chacun peut révolutionner la société. « À travers cette problématique du care, on peut aller observer plein d'endroits de la société, c’est ça qui est fascinant avec ce sujet. On peut parler de travail, de classe, de race, de flux migratoire, de vieillir, de démocratie, d’enfant, ou d’éducation ».

 

En dénonçant le mépris de la société envers ses travailleur·ses du care, personnel soignant, éducatif, de propreté, et en soulignant leur rôle essentiel, passé à la trappe depuis le covid, elle nous rappelle que les plus touchées par cette dévalorisation restent les femmes, qui sont, dans cette lignée, les premières victimes de violences médicales, d’agismes ou de discrimination au travail.

En somme, un futur souhaitable doit passer par l’accès aux soins et à l’écoute pour toustes, par exemple avec des effets secondaires spécifiques aux femmes réellement pris en compte, des traitements testés aussi sur des femmes, ou encore la fin du mythe du syndrome méditerranéen (minimiser la douleur des femmes racisées en pensant qu'elles exagèrent).

 

 

Prendre soin du vivant

 

Pour conclure, Lauren Bastide nous ramène à un courant particulièrement crucial en ce moment : l’écoféminisme. En croisant l’écologie et le féminisme, elle nous rappelle que le respect de la nature et des autres espèces vivantes est un enjeu majeur de notre époque. Et une fois de plus, le genre a aussi son rôle à jouer. « Le réchauffement climatique affecte et affectera les femmes plus durement que les hommes. Parce qu’elles constituent la majeure partie des populations pauvres et précaires, (...) parce qu’elles ne sont pas propriétaires des terres ».

Son exposé est simple, non seulement le féminisme permettrait de sauver les humains, mais aussi la planète avec. Elle rappelle les luttes de grandes militantes comme Vandana Shiva qui s’oppose notamment en Inde aux brevets industriels sur des plantes. Elle conclut : « Mon pari, c’est qu’avec le féminisme on peut régler tous les problèmes de la société, il n’y a pas un endroit où le féminisme n’a pas déjà pensé une solution ».



Hanneli Victoire