L’idée d’une “meuf bien” va bouger selon les époques, les sociétés et les préjugés de chacun·e. Mais ses caractéristiques instables répondent toujours à une injonction : respecter les attentes des hommes qui l’entourent #ambiance. Et gare à celles qui sortent du rang. Les figures des femmes qui ont “déconné” sont utilisées comme un avertissement : si on essayait de les imiter, on connaîtrait les mêmes galères qu’elles. Une intimidation qui remonte carrément à l’Ancien Testament.

 

Dans son livre, María Hesse raconte avec humour l’histoire de celles qui ont foutu le bazar, à commencer par Lilith, la première femme d’Adam. Askip, l’ambiance dans le jardin d’Eden n'était pas au top, car Lilith refusait qu’il lui impose son autorité. Finalement, elle en a eu marre et s’est cassée pour s’installer au bord de la mer Rouge, chiller avec des démons et engendrer une centaine de créatures par jour, commettant soi-disant le premier péché adultère de l’histoire (nous on voit surtout une femme qui a quitté un foyer violent et refait sa vie au calme). Dieu lui envoya trois anges pour lui demander de retourner chez Adam, et massacra ses enfants quand elle refusa. Après à ce fiasco, Eve est créée pour remplacer Lilith, mais à partir de la côte d’Adam... Un texte vieux de plusieurs milliers d’années invente donc déjà des fautes aux femmes qui rejettent l’autorité patriarcale.

 

 

Et si la meuf bien n’existait pas ?

 

Le problème de la “meuf bien” ? C’est une norme quasi inatteignable, nous explique María : « Ce que j'ai réalisé en écrivant ce livre, c'est que nous sommes toutes de mauvaises femmes, il est très difficile de ne pas franchir la ligne qui nous est tracée d'une manière ou d'une autre. La bonne femme est soumise, attentionnée, belle, jeune... mais il y a une chose contre laquelle nous ne pouvons pas lutter, c'est le passage du temps. En vieillissant, la société nous dit que notre valeur diminue. Si vous êtes "trop décente, raisonnable", vous êtes une puritaine. Nous devons à l’inverse veiller à ne pas tomber dans l'excès, sinon nous serons considérées comme castratrices. Finalement, quelle est la bonne manière d’agir ? Qui la définit ? »

Cerise sur le gâteau, être catégorisée “mauvaise femme” justifie qu’on nous violente. Méduse est présentée comme un monstre à abattre, alors qu’elle été transformée en Gorgone par Athéna, qui voulait se venger parce que Poséidon avait violé Méduse dans son temple #cherchezlerreur. Pareil pour Carmen, dont le féminicide par le militaire Don José est justifié parce qu’il “l’aime”, mais qu’elle l’a largué sans états d’âme après une brève histoire.

 

Ces fautes exagérées voire inventées viennent encourager la violence faite à ces “mauvaises” femmes, et détournent l’attention des horreurs - très concrètes - que commettent les hommes de ces récits.

 

 

Les mauvaises femmes in real life

 

Ces dizaines d’histoires célèbres ont un impact sur la vraie vie, et celles classées “mauvaises femmes” le paient cher. Genre Monica Lewinsky, accusée d’être une boss de la manipulation et harcelée pendant des années à cause de sa liaison avec le Président des USA Bill Clinton - qui a été réélu -, alors qu’elle était une stagiaire de 23 ans. Et les femmes médiatisées ne sont pas les seules touchées.

 

En exemple récent, il y a le documentaire Mauvaises Filles d’Emérance Dubas. Eveline, Fabienne, Michèle, Edith et Marie-Christine y racontent leurs années dans les Instituts Bon Pasteur, des maisons de redressement où des jeunes femmes “fautives” étaient privées d’éducation, exploitées, enfermées et parfois torturées. Tout ça jusqu’en 1980. Leurs fautes pour “mériter” ça ? Une a été placée parce qu’un voisin l’a violée, une autre abandonnée par ses parents, certaines ont voulu se rebeller contre des maltraitances… Parce que leur existance “défiait” la norme d’une femme docile et pure, des milliers de jeunes filles ont été traumatisées. On vous conseille vivement le docu, en salle depuis le 23 novembre, pour capter l’ampleur du problème.

Et le cas est loin d’être isolé : « Ce que l'histoire nous enseigne, c'est que si nous sommes "mauvaises", le résultat est la tragédie, ou la solitude. De cela découle le besoin de sororité et d’agir en groupe » confirme María.

 

 

2022, ça va mieux…?

 

Les choses ont évolué depuis l’époque du Bon Pasteur, et encore heureux. Les œuvres de María et Emérance en sont la preuve, et de plus en plus de personnes se battent contre les normes patriarcales.

 

Mais quand même : qui ici n’a jamais assisté à du slut shaming ? Jugé une maman qui n’a pas l’air assez au taquet, sans poser le même regard sur le papa ? Trouvé la colère d’une femme exagérée sans connaître ses raisons ? En 2022, que ça soit dans la fiction ou IRL, on reproche encore aux femmes d’être too much : trop violentes (quand on se défend face à une agression), trop salopes (quand on aime avoir des orgasmes), trop égoïstes (quand on ne veut pas d’enfants), trop exigeantes (quand on veut être traitées comme les hommes), trop hystériques (à n’importe quelle occasion)…

Peu importe qu’on s’éloigne d’un chouia ou d’un kilomètre de la “meuf bien”, on est rapidement un échec ou un monstre, une menace qui n’a pas d’équivalent pour les hommes. Ils ont droit à l’imperfection - normal - voire à l’impunité même en cas de faute grave - pas normal -, genre quand 90% des plaintes pour viol sont classées sans suite ou correctionnalisées.

 

Donc venez, on arrête d’utiliser les défauts des meufs - qu’ils soient réels ou fantasmés - à des fins sexistes. Parce que la dichotomie bonne femme/mauvaise femme, ça sert de justification aux opressions sexistes, d’epouvantail pour maintenir les femmes dans la domination, et de distraction face à la violence systémique du patriarcat. María approuve : « Nous avons fait des progrès, mais pas assez. Nous avons encore un long chemin à parcourir car nous avons grandi dans une culture hétéropatriarcale, et c'est toujours le cas. La première étape consiste à ouvrir les yeux pour cesser de normaliser des problèmes qui ne sont pas normaux. Et à partir de là, construire ».

Claire Roussel