Ça vole pas haut

 

Jeudi 23 mars mars, Polska et Tootatis décident de se joindre aux manifestations contre la réforme des retraites. Ce projet va notamment faire passer l’âge minimal à 64 ans, en sachant que 25% des hommes les plus pauvres sont déjà morts à cet âge là et que les femmes se font douiller globalement. Pour motiver leurs abonné·es, elles partagent leur action à leur sauce sur les réseaux sociaux. Nicolas Fresco, en a repris des extraits pour descendre les jeunes femmes devant le millions de téléspectateurs de Quotidien. Il les présente en déclarant “Elles sont notamment célèbres pour s'être fait recaler d’un restau à cause de leur décolleté plus profond que le trou de la Sécu” avant de se risquer à une analyse foireuse de leur look : « Sans le son, on dirait plutôt qu’elle vont voir un match au stade de France ». Le tout ponctué des ricanements du public et de Yann Barthès, présentateur famous de l’émission.

 

On est quand même en 2023, donc cçq n’est pas passé crème. Notamment sur Twitter, des personnalités politiques et des activistes style Rokhaya Diallo dénoncent le mépris qui suinte de la séquence. La journaliste Constance Vilanova a recadré le débat : « On est plus en 2010 en fait. Ça suffit les pastilles bidon teintées d’humour libidineux pour faire rire papa et maman qui ‘comprennent rien à internet’. Il y a des choses à dire, à décrypter. Que ces influenceuses aillent en manif, s’expriment contre le gouvernement, dit quelque chose du mouvement actuel et de son ampleur. Mais apparemment c’était mieux de multiplier les sous-entendus sur leur supposée intelligence ».

 

 

Tout sur la forme, rien sur le fond

 

Comme Polska l’a dénoncé dans sa réponse à Quotidien, le sexisme réside dans le fait que le chroniqueur ne s’est pas attaqué à leurs idées mais à leur dégaine, notamment avec des arguments qu’on a rarement vu balancés à des hommes. « Au lieu de parler de l’acte en lui-même, vous vous êtes arrêtés à des faux-ongles et à un décolleté ». Et si elle admet qu’en effet, leur slogan “les formes contre la réforme” est inhabituel, elle pointe que ce n’est pas le seul à se démarquer. Par exemple, on aime bien « bouffe ma chte pas ma retraite » qui apparaît souvent.

 

« À un moment donné je pense que chacun manifeste comme il veut. Il y en a qui manifestent en brûlant des voitures, en cassant des choses, en chantant ou en dansant… S'arrêter à un slogan, c’est hyper bas » conclut Polska.

 

Autre élément qui montre le sexisme et le classisme de la séquence : le mood des gens sur le plateau. On rigole, on se moque, on est condescendant. Alors que quand un homme “choque”, on a plus tendance à s’insurger, dénoncer… Bref, en le prenant au sérieux, même négativement. Ici, deux femmes dont les codes ne sont pas ceux de Quotidien, et très “féminines” selon les stéréotypes genrés, ne méritent apparemment que du mépris.

 

 

Critiquer l’influence, mais dans quel but ?

 

Les influenceur·euses se font généralement beaucoup critiquer, parfois à raison. On a vu le nombre d’arnaques qui étaient promues par certains comptes et agences d’influence, et certain·es créent des contenus qui renforcent le sexisme. Genre les pubs de capsules pour rétrécir le vagin d’une influenceuse célèbre qu’on est pas prêt·es d’oublier.

 

Par rapport aux arnaques, une loi vient d’être votée pour les contrôler et réguler les influenceur·euses. Fun fact : une tribune a circulé en début de semaine pour contester ce projet, qui veut juste protéger les communautés souvent jeunes des escroqueries dans l’influence. Donc signer ça, ça la fout mal. Et pourtant, certains ont donné leur accord pour que leur nom apparaisse dans les signatures… Sans même l’avoir lue, comme l’a admis Squeezie. Ils sont aussi plusieurs à avoir affirmé que leur agent a reçu la tribune mais qu’ils n’ont jamais signé, dixit Cyprien. De son côté, Seb la Frite a déclaré à France Inter « On a tous globalement signé un truc avec deux-trois échanges WhatsApp », enchaînant qu’ils passent «un peu tous pour des cons ». Bref c’est un beau bazar et il ne s’agit pas de défendre l’influence à tout prix, mais il y a de la nuance. Comme dans plein de métiers : pensez-vous que tous les journalistes sont comme Pascal Praud ? Ça nous ferait de la peine.

 

Mais sous prétexte de garder un œil “critique” sur ce milieu, les médias clashent souvent ses représentantes féminines dès qu’elles bougent un cil. Surtout quand elles donnent leur avis comme Polska et Tootatis. On le voit quand on compare le mépris et les insultes qu’elles reçoivent pour littéralement avoir une opinion, VS les réactions face au drama, en effet bien gênant, de la tribune. Les Youtubeurs évoqués plus haut ne sont pas non plus épargnés, mais le ton des critiques diffère radicalement.

 

 

Nous faire taire

 

Comme d’hab, les femmes prennent tarif dès qu'elles s’impliquent dans des sujets considérés comme masculins, genre la politique. Dans sa newsletter, l’autrice Rose Lamy démontre avec brio comment quoi qu’elles fassent, elles se font défoncer. « Si vous êtes une influenceuse populaire, que votre capital culturel n’est pas aligné avec les valeurs de la gauche bourgeoise : on se moque de votre engagement. Si vous êtes bourgeoise et de gauche, c’est votre sincérité dans la lutte qui est remise en cause. (… ) Les femmes ont-elles seulement le droit de participer aux luttes sociales ? »

 

On peut être en désaccord, voire s’opposer fermement aux actions et idées d’une femme. Mais on peut le dire sans l’accuser d’être stupide, manipulatrice ou vulgaire alors qu’on la connaît que dalle. En gros, sans recourir à des clichés sexistes basiques ou utiliser le mythe de la meuf bien VS la mauvaise meuf.

 

Les femmes célèbres - influenceuses, politiciennes, actrices - sont les premières à se manger ces idées misogynes. Le but ? Montrer à toutes les autres, de façon très médiatisée, ce qu’elles risquent si elles sortent du rang par leurs convictions ou leur apparence. Et ça n’est pas sans conséquence : 40% des femmes françaises contrôlent leurs propos et attitudes par peur de la réaction des hommes. Heureusement, ça n’est pas le mood de Polska : elle est retournée manifester comme une queen ce mardi.


Claire Roussel