Comment t’es-tu intéressée au foot, et pourquoi avoir fondé le Gadji FC ?

 

À la base, je fais de la peinture et j’avais peint des joueuses de foot pour un projet. C’était vraiment l’équipe de mes rêves, et je me suis dit que j’avais envie de le faire en vrai. J’ai commencé le foot quand Adidas a organisé des tournois avec un quota féminin. Parce qu’à l’époque il n’y avait pas de filles qui jouaient au foot, et les mecs ne nous faisaient pas jouer. Donc dans chaque équipe, il fallait une fille sur le terrain.

 

On m’a proposé de participer, sachant que je n'avais jamais fait de foot de ma vie. Et j’ai découvert une espèce de “réseau social” en regardant ce groupe de 30 mecs s'entraîner. Parce que quand tu veux rencontrer des gens à Paris, ça peut être en soirée, par le travail, mais rarement dans les loisirs… Avec le foot, les mecs se connectent, et il n’y a pas d’équivalent féminin. J’ai réalisé qu’on n’avait pas de réseaux autour du sport et j’avais adoré joué, donc j’ai voulu continuer.

En regardant sur Internet, je me suis aperçue que pour les filles il y avait du club, mais pas grand chose en loisir et amateur. Donc j’ai posté une annonce sur Instagram et j’ai eu énormément de réponses. Il n’y a pas d’autre sport qui fédère autant, c’est important dans la cour de récré, et après chaque coupe du monde, tous les petits garçons vont s’inscrire au foot. Il n’y a pas ça pour les filles, donc je pense qu’il y avait une frustration.

 

C’est une équipe de loisir, amateure, mais qui progresse, avec des coachs toutes les semaines. On part du niveau zéro et on ne s’excuse pas d’être là, on n’a pas à être les meilleures pour prouver qu’on a notre place. Mais on a quand même un esprit de compétition, de sport, parce que c’est aussi quelque chose qu'on ne s'autorise pas forcément dans le loisir en tant que meuf. Le côté agressif, un peu compétitif, c’est des valeurs qui ne sont pas liées au féminin, donc c’est hyper important aussi de s’autoriser ça.

 

 

Et tu as retrouvé cet esprit de groupe, mais aussi de réseau pro, avec cette équipe ?

 

Carrément. On est une vingtaine, avec deux coachs, et on s’entend super bien, on fait des week-ends de foot... Je suis fière de ça, parce que gérer un groupe et que ça se passe bien c’est important. Tout le monde s’est laissé embarquer par le truc : on n’avait pas fait de foot, on n’avait pas de culture foot, et c’est devenu notre passion commune. C’est assez incroyable. Niveau réseau, ça nous a fait rencontrer plein de gens, des nouvelles filles, on a fait des collabs avec des marques... On est beaucoup d’artistes dans l’équipe, donc ça fait aussi ce réseau où on collabore toutes ensemble.

 

 

Certains pensent encore que le foot n’est pas pour les filles… Comment les gens réagissent à votre projet ?

 

On a beaucoup plus de positif que de négatif. Mais quand on avait commencé avec un premier projet de foot (avant le Gadji FC)… C’est la Mairie de Paris qui délivre des créneaux toutes les semaines, et on avait fini par rencontrer un mec du 19ème. Un seul club avait toute une semaine de créneaux, donc on a demandé s'il pouvait nous filer au moins une heure. Il nous a dit : « Je préfère le laisser à des squatteurs plutôt qu’à une équipe de filles ».

 

En ce moment, on s’organise avec la super Team Autremonde, qui aide les demandeurs d’asile par le biais du foot. Ils ont réussi à avoir un créneau et ils nous filent un petit bout de leur terrain. Mais d’un point de vue administratif, c’est quasiment impossible, alors que la Mairie avait dit qu’elle allait promouvoir le sport féminin. Sinon les réactions sont super positives : les gens sont hyper curieux, plein de mecs sont venus nous entraîner gratuitement, des gardiens nous ont aidé à trouver des créneaux pour qu'on ne se fasse pas emmerder, donc on a eu beaucoup d’aide.

 

 

On voit de plus en plus de crews féminins qui se montent dans le sport, au niveau du foot mais aussi du skate par exemple. Penses-tu que le groupe aide à dépasser l’appréhension ?

 

Complètement. Les filles ne vont pas naturellement seules au stade. En crew elles se sentent plus en sécurité, plus légitimes. Les stades ne sont pas accueillants pour les meufs, mais je crois qu’on se met aussi des barrières toutes seules. Parce que je me suis aperçue que c’était pas si compliqué de monter une équipe. Il faut faire un groupe Instagram, mettre trois copines dedans etc..

 

Plein de filles me disent que c’est leur rêve, et c’est plutôt simple. Mais il faut quand même s’imposer : si il n’y a pas de place, il faut faire son terrain, parfois il faut demander aux gens de dégager.

 

 

Est-ce que les projets comme le Gadji FC se multiplient ?

 

Je vois fleurir de plus en plus d'équipes. On nous écrit souvent pour dire qu'il y a des équipes sur Marseille et d’autres villes. J’espère surtout que ça va s’ouvrir pour les très jeunes générations, par exemple en Angleterre toutes les petites font du foot. Dans les pays anglo-saxons c’est moins genré, et aux Etats Unis c’est presque un sport plus féminin. J’espère qu’en France, la jeune génération pourra en faire en loisir, pas forcément en club.

Je vois aussi des équipes qui se servent du foot pour leurs revendications politiques. Par exemple Les Hijabeuses, qui défendent le port du voile, la Team Autremonde… Ils se servent de quelque chose de très culturel, très populaire, pour mettre de la visibilité sur leur association. C’est super intéressant, et ça lutte contre les préjugés. Et quand je parle de réseau : le foot c’est connu partout dans le monde. Quand tu voyages, par exemple si je vais en Colombie ou au Cameroun, on me parle de foot. C’est mondial, c’est populaire, et on était un peu coupées de ce truc là.

 

Pour suivre les actus du Gadji FC, c’est ici, et pour kiffer les peintures de Gaadjika, c’est par là.


Claire Roussel