Vous vous souvenez de D&CO, l’émission de décoration intérieure dans laquelle Valérie Damidot rénovait des maisons entières en une semaine avec l’aide d’artisans et d’un·e membre de la famille ? En dix ans, Damidot et sa team ont refait presque 300 maisons, laissant songeur·ses toute une génération d’adolescent·es qui rêvaient alors d’une chambre 100% British avec du papier peint Union Jack et des photos de cabines téléphoniques rouges placardées aux murs.

Un argument commercial

 

Au micro de France Inter, Valérie Damidot, en pleine promo de son premier one woman show au Théâtre du Marais est revenue sur cette période de sa vie et plus particulièrement sur les remarques grossophobes subies alors qu’elle était à la tête de l’émission. « C’était incroyable. On faisait des baraques en huit jours et le seul truc que le journaliste me demandait, c’était si ce n’est pas dur d’être en surpoids à la télé. » Grande classe. L’ex présentatrice de D&CO expliquait déjà, en 2015 sur France Info, que l’émission de M6 avait été adaptée d’un programme germanique avec, à sa tête, « une grosse dame sympathique, comme [elle] », justement parce que « les gens enrobés, ça rassure toujours » [sic].

Tine Wittler, présentatrice d’Einsatz in 4 wänden, l’équivalent allemand de D&CO

Ce que dénonce Valérie Damidot s’inscrit dans un contexte plus large : lorsque des personnes — et plus particulièrement des femmes — grosses apparaissent à la télévision, c’est d’abord précisément parce que leur poids compte comme un argument commercial. Dénombrons un peu les femmes grosses que l’on a vues apparaître régulièrement dans des émissions françaises ces dernières années (parce qu’aujourd’hui, on en voit zéro). Il y a donc eu Valérie Damidot chez D&CO, Laurence Boccolini au Maillon faible, Marianne James à la Nouvelle Star… Vous en voyez d’autres, vous ? Curieux, quand on sait qu’une personne sur deux se trouve « en situation de surpoids » en France.

Des rôles sur-mesure

 

On peut néanmoins trouver un point commun intéressant à ces femmes : toutes trois ont incarné ou participé à des programmes de divertissement. Tandis qu’au journal, à la météo et dans les émissions d’info, les femmes sont minces et correspondent globalement aux standards de beauté de l’époque. Valérie Damidot l’explique très bien : dans l’imaginaire collectif, les personnes grosses sont forcément joviales, marrantes et bonnes vivantes. Taillées pour animer du divertissement, quoi.

 

Tout ça, c’est bien sûr des gros clichés. Mais certain·es y croient dur comme fer et vont jusqu’à parler de morphopsychologie, une pseudo-science — qui ne se fonde donc sur aucun fait scientifique — qui prétend que l’on peut déduire les traits de caractère d’une personne en fonction de ses aspects physiques. Un front large serait de ce fait un signe d’intelligence, un grand nez, un signe de puissance sexuelle. Un homme gros serait gentil mais mou. Une femme grosse, maternelle mais négligée. Ça coule de sens, on vous dit.

La double peine

 

La fiction entretient également ces clichés. Au cinéma, quand les femmes grosses ne sont pas tout simplement invisibilisées, elles sont souvent castées pour leur poids. Certaines jouent ainsi le rôle de la meilleure amie grosse. D’autres, celle de la personne grosse qui va s’émanciper et s’épanouir en dépit de son poids sous-entendu problématique. Le problème, justement, c’est que ces représentations perpétuent l’idée que les femmes grosses sortent de la norme, sont inférieures et méritent que l’on pose sur elles un regard différent : de pitié, de dégoût. D'attendrissement, parfois. Quand va-t-on enfin complexifier les arcs narratifs fictionnels des personnes grosses ?

 

Car cette absence de représentation donne également lieu à des discriminations professionnelles. Les biais cognitifs évoqués plus tôt font que les personnes grosses sont globalement considérées comme plus faibles et fainéantes que les autres. Leur poids incarnerait ainsi une preuve indiscutable de leur incapacité à se prendre en main et à faire preuve de volonté ou de détermination. Pour les femmes, c’est encore pire puisque celles-ci subissent de ce fait à la fois les commentaires sexistes et les réflexions sur leur poids. Selon une étude de l’Insee, le poids influerait de façon négative la probabilité d’être employée, et ce, uniquement chez les femmes.

 

Il est grand temps de laisser les femmes grosses incarner l’information et présenter des contenus sérieux. La télévision a son rôle à jouer, et merci, Valérie Damidot, de nous l’avoir rappelé.

 

 

Marine Slavitch