Petite histoire du mot "Gossip"

Au Moyen-Age, gossip était un dérivé de God (Dieu) et sibb (parent) et désignait les godparents, soit marraine ou parrain in French. A l’époque moderne, le mot se réfère aux compagnes d’accouchement, les sages femmes comme les potes présentes à l’évènement (Federici précise que les hommes étaient strictement exclus des salles de naissance). De fil en aiguille, les gossips désignent les amies qui se retrouvent à la taverne pour discuter. On part donc sur une idée affectueuse et même puissante, où des femmes occupent l’espace public par le nombre et passent un moment sympa.

Ça part en cacahuète au 16ème siècle, ce qui coïncide étonnamment -non- avec la montée des chasses aux sorcières en Angleterre. On assiste à un backlash très violent, qui veut réduire la liberté des femmes, beaucoup plus développée à cette époque que le laissent penser les clichés. Le nom gossip étant associé aux femmes, il est embarqué par le sexisme montant et est peu à peu détourné pour désigner “une femme tenant de vains propos”. Le jugement et les moqueries ne sont pas les seules armes utilisées pour dissuader les femmes de s’exprimer : dès 1567 en Ecosse, un instrument de torture surnommé le “gossip’s briddle” (“bride à gossipeuse”) fait son apparition. En gros, c’est un casque en acier avec une pointe qui va à l’intérieur de la bouche, parfois couverte de piques. A cause de cette pointe, on ne peut plus parler sans risquer une grave blessure. Cet objet -aussi utilisé plus tard dans les colonies anglaises- montre à quel point la notion de gossip a été renversée dans un but violemment misogyne, en seulement quelques décennies.

 

Et si les instruments de torture ont été reposés, le concept continue d’être utilisé pour réprimer la parole féminine au 21è siècle.

Sororité et Self Care

Preuve qu’on a jamais fini de déconstruire ses propres biais : ça m’est déjà arrivé de me plaindre de groupes de filles qui se mêlaient de mes affaires en les traitant de “gossipeuses”, chose que je ne disais pas des garçons qui faisaient pareil. Bon, je les enguelais, mais je ne m’agaçais pas de leur tendance à “gossiper”, parce que je ne pensais juste pas à associer leur médisance à ce concept. Je crois qu’inconsciemment, je reliais cette attitude à de la perversité chez les mecs et à de la fourberie chez les filles, belle démonstration de sexisme intériorisé…

 

Plein de gens -peu importe leur genre- relaient voire inventent des histoires sur d’autres personnes, et c’est relou. Mais si on prend le sens ancien du gossip, aka des moments de partage et de discussion entre femmes, c’est juste génial : du rire, du drama, des réflexions légères ou deep sur les galères de la vie, notamment en tant que personnes sexisées dans un système patriarcal. Je ne compte plus le nombre d’épiphanies féministes nées pendant un verre entre copines, souvent amenées par des récits en apparence superficiels, mais en fait très révélateurs de nos conditions de vie.

En construisant ces liens entre les femmes, le gossip “originel” est vecteur de sororité mais aussi de guérison : gros soulagement de pouvoir déballer et dédramatiser nos mésaventures avec des personnes capables de comprendre en profondeur nos ressentis et nos oppressions. La société du 16ème avait bien perçu le pouvoir colossal de ces échanges amicaux entre femmes, d’où sa volonté de les shamer.

Les femmes parlent : #metoo naît

Dévaloriser la parole des femmes est un énième prétexte à la moquerie, mais ça sert aussi des buts plus graves. Parce que logiquement : si ce que dit une femme ne vaut jamais rien, on n’a pas à la croire ou même à l’écouter quand elle parle -à tout hasard- de violences sexuelles.

 

 

En réfléchissant aux sens de gossip, j’ai été frappée par ses liens avec #Metoo. Parce qu’au départ, la prise de conscience vient de discussions avec des proches, souvent en non mixtité -on connaît la difficulté de parler de traumas sexistes devant des hommes cis- et via des sujets clairement intimes, donc dans un cadre que certain·es associent volontiers à une séance de gossiping. Mais en étant de plus en plus nombreuses à se dire, entre nous puis au reste du monde, “untel m’a fait ça”, on a enclenché une révolution qui est à peine à ses débuts. Le commencement de #Metoo, c’est littéralement un -très gros- groupe de femmes qui racontent leurs histoires.

Cette correspondance avec le sens originel de gossip sert à décrédibiliser le mouvement via son sens actuel : il suffit de voir la levée de boucliers quand une femme dénonce une agression, et les millions de prétextes qu’on trouve pour décrédibiliser sa parole. Jalousie, soif d’attention et manipulation sont souvent évoquées pour qualifier celles qui parlent de violences sexuelles, des prétextes qui servaient aussi à accuser les femmes de sorcellerie (décidément). Un jugement bien loin, en France, d’être appliqué aux hommes sur le même sujet : le président en personne a par exemple jugé qu’une petite discussion “d’homme à homme” suffisait à innocenter son ministre de l’Intérieur, pourtant accusé de viol au moment de sa nomination.

De la lutte contre les clichés misogynes à la protection de #Metoo, le concept de gossip et le sens qu’on lui accorde est profondément politique. Du coup, face aux enjeux féministes qui entourent cette notion, je vous propose qu’on la réhabilite dans son sens ancestral. Car que nos discussions soient à base de fous rires sur les anecdotes du week-end ou de décorticage sérieux de nos galères, il me semble que les séances de gossip sont de bons outils pour améliorer nos vies.

Claire Roussel