L’histoire du genre aide à comprendre à quel point c’est une construction sociale
On ne naît pas genré·e, on le devient
Bon, on ne vous fait pas tomber de votre chaise si on vous dit que le genre est une construction sociale. Parce que personne n’a jamais prouvé qu’avoir tel ou tel organe sexuel détermine naturellement nos capacités cérébrales, nos attitudes ou notre style vestimentaire. Mais si vous en débattez avec votre famille au dîner, y’a des chances que tonton Gérard déclame le fameux “c’est sympa votre égalité, mais les hommes et les femmes sont naturellement différents, surtout physiquement”. Alors déjà, on ne voit pas en quoi ça excuse des millénaires de maltraitance, mais en plus on a tendance à exagérer cet argument à 500%. La cause : une histoire du genre européenne qui sert plus des idéaux sexistes que la réalité. Heureusement, des chercheuses de tous bords ont refait le taff correctement, et nous donnent des éléments pour mieux capter l’influence de nos cultures sur l’évolution du genre. Go pour une leçon d’histoire t r è è è s vulgarisée.
PRÉHISTOIRE : VOUS N’AVEZ PAS LES BASES
C’est the période ciblée par les fantasmes patriarcaux : la Préhistoire. Vous voyez le mythe “les hommes à la chasse et les femmes à la caverne” ? Du bullshit élaboré par des naturalistes sexistes au XIXe siècle (on revient plus bas sur cette période un brin misogyne).
En vrai, niveau Paléolithique (quand les humain·es étaient des nomades chasseur·euses - cueilleur·euses), plein d’historien·nes modernes affirment que les femmes participaient activement à la récolte de nourriture, à l’art rupestre et autres activités essentielles aux communautés. Donc la répartition genrée des tâches était minimale ; on vous conseille notamment L'homme préhistorique est aussi une femme de la géniale Marylène Patou-Mathis pour creuser le sujet. Dans un épisode du podcast Gang of Witches, elle démonte aussi l’idée de la faiblesse NaTuReLLe du corps des femmes : grâce à des analyses récentes du collagène de squelettes du Paléolithique, on sait que les corps “masculins” et “féminins” avaient souvent des statures similaires. Donc il y avait très peu de dimorphisme sexuel, aka la forte différence physique entre les femmes et les hommes, re-aka l’argument ultime de tonton Gérard.
En fait, c’est surtout à partir du Néolithique, donc de la sédentarisation et de l’agriculture, que c’est parti en vrille. C’est carrément là qu’on situerait la naissance du patriarcat et du contrôle des corps des femmes #fun. Marylène Patou-Mathis propose l’hypothèse qu’il fallait vachement plus de main d'œuvre pour pratiquer l’agriculture, ce qui a entraîné une assignation des femmes à la reproduction avec toutes les violences qui vont avec. Pour la différence de gabarit entre hommes et femmes, Claudine Cohen, philosophe et historienne des sciences, explique dans ce podcast que c’est aussi à cette période qu’elle s’est violemment accentuée, les femmes étant sous-nourries et sélectionnées comme partenaires reproductives par les hommes si elles étaient perçues comme nettement plus faibles physiquement. Merci les gars…
DU MOYEN-ÂGE AUX TEMPS MODERNES, LA RÉPRESSION S’INTENSIFIE
On fait un gros saut dans le temps, pour analyser une autre époque qui a pesé dans la vision du genre en Europe. Pour vous la faire vraiiiment courte, l’Antiquité perpétue les violences initiées au Néolithique, avec des exceptions aux clichés dans certaines sociétés, genre chez les Celtes et les Vikings où on retrouve des femmes cheffes et guerrières. Mais globalement, une répartition genrée des activités, qui influence les attitudes et donc les personnalités, se fait de plus en plus sentir.
Mais si le Moyen-Âge (daté de 476 à 1492) hérite de ces discriminations, c’est une époque moins obscure pour les femmes qu’on veut nous faire croire. Ce n’est pas l’égalité, mais elles sont plus indépendantes qu’à la Renaissance (≈1450-1600) ou aux temps modernes (≈1492-1789). Dans Caliban et la Sorcière, la chercheuse Silvia Federici démontre que les femmes jouissent d’une liberté sociale et économique relative en Europe : du 13e au 15e siècle, elles occupent de plus en plus de jobs dans le commerce, l’enseignement et la médecine, et peuvent vivre seules ou en non-mixité, surtout dans les villes. On a carrément des communautés hérétiques, où dès le Xe siècle, les rapports femmes-hommes sont égalitaires, et des preuves que les femmes du Moyen-Âge utilisaient des herbes pour influencer leur cycle menstruel voire avorter. Des petites avancées atomisées par la Renaissance, qui amène un sacré plot twist avec les débuts du capitalisme et les grandes chasses aux sorcières.
Federici démontre qu’à partir du XVe et jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les femmes subissent une répression violente en Europe menée par les États, l’Eglise et les populations. Criminalisation de la contraception, dévalorisation puis exclusion des femmes du travail hors-foyer… tout ça pour servir le nouvel ordre économique qui s’installe. Évidemment, ça se fait pas dans le calme, et pour valider cette répression -qui a fait des dizaines voire des centaines de milliers de mortes-, on attribue aux femmes une nature fourbe, sauvage, parfois “démoniaque”, bref, qu’il faut calmer. Le succès de La Mégère Apprivoisée de Shakespeare en 1593 montre bien la vibe de l’époque.
Une fois cette “transition” achevée, une nouvelle “nature” est attribuée aux femmes au début du XVIIIe siècle. Comme par magie (non), les œuvres de l’époque les montrent massivement comme fragiles, passives, sans défense, en gros bien faites pour rester sagement à l’intérieur. Le travail de Federici démontre un bail essentiel : les contradictions constantes dans le discours sur la nature féminine montrent bien qu’il n’a aucun fondement scientifique. Il sert surtout à légitimer des agendas politiques et sociaux où la femme est inférieure, youpi.
ON ENFONCE LE CLOU AU XIXe
Au XIXe siècle, la France post-1789 ne s’améliore clairement pas pour les femmes. Malgré leur participation aux révolutions, elles continuent d’être considérées comme inférieures, comme l’indique l’article du code Civil de Napoléon en 1804 : “Les personnes privées de droits juridiques sont les mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux.” Obviously, on invoque une infériorité féminine “naturelle” pour justifier cette misogynie puante. C’est dans ce contexte que des naturalistes vont fabriquer le fameux mythe de la soumission originelle des femmes, en projetant leur imaginaire patriarcal sur les trouvailles archéologiques de la Préhistoire.
En 2022, on a les preuves scientifiques et archéologiques que tout ça est un ramassis de mythos. Il n’empêche qu’aujourd’hui encore, les clichés sur l’infériorité naturelle des femmes, mentale et surtout physique, ont la peau dure. Alors que quand on checke, il s’agit surtout de milliers d’années de conditionnement physique et mental. Si avec ça, tonton Gérard se calme pas…
Les ref’ pour comprendre la construction historique du genre en Europe :
L’homme préhistorique est aussi une femme, Marylène Patou-Mathis, Allary éditions, 2020.
Femmes préhistoriques : de l’ombre à la lumière, Gang Of Witches podcast
Femmes préhistoriques, le silex fort ! France Culture
Caliban et la Sorcière, Silvia Federici, éditions Entremonde, 2017.
Corset de Papier, une histoire de la presse féminine, Lucie Barrette, éditions Divergence, 2022.
Un podcast à soi : les femmes sont-elles des hommes comme les autres ? Arte Radio, Charlotte Bienaimé
Les sociétés matriarcales, Heide Goettner-Abendroth, éditions des femmes, 2019.
Les grandes oubliées, pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, Titiou Lecoq, éditions L’Iconoclaste, 2021.
Claire Roussel pour Tapage