L’explosion des influenceuses cottagecore

 

« J’ai l’impression que ce printemps, je suis née pour la deuxième fois » s’émerveille la voix off d’Isabel sur fond de coucher de soleil. « Et maintenant, la chaleur s’en va et nous rentrons de nouveau dans la saison du froid. Cette semaine, j’apprends à laisser partir la nature en regardant les feuilles mortes tomber ». Podcast de développement personnel ? Vidéo de méditation ? Non, il s’agit bel et bien du vlog hebdomadaire d’une jeune fille de 24 ans. Depuis quatre ans déjà, Isabel Paige, documente sur Youtube et Instagram sa vie dans les montagnes de l’Etat de Washington, où elle a construit de ses propres mains une tiny house isolée.

Toutes les semaines, elle poste des vidéos contemplatives intitulées “A day of my life in the mountains” ou “Rural living in my tiny cabin”. Baignades dans la rivière, jardinage, courses dans des champs de tournesol à faire pâlir d'envie Pinterest… La jeune femme mène une vie faite de récoltes du jardin, de travaux manuels et d’activités artisanales, loin de la ville et de son tumulte. Et bien qu’elle vive à des kilomètres du premier commerce ou de ses voisins, Isabel n’est pas toute seule : sa chaîne Youtube est aujourd’hui suivie par plus de 760 000 personnes.

 

Loin d’être un phénomène isolé, la jeune femme se rattache à tout un groupe d’influenceuses très en vogue, qui mènent elles aussi une vie proche de la nature façon cabin in the woods. Hannah Lee Dugan (826k abonnés), la BFF d’Isabel, a ainsi passé deux ans à rénover une maison dans les bois et à y vivre seule en compagnie de ses plantes, tandis que Hitomi Mochizuki (plus d’un million de followers), qui se qualifie de “nymphe de forêt” dans sa bio insta, voyage et médite dans l’espoir de trouver “l’endroit où elle doit être sur terre”. Leur rêve commun ? Cultiver un potager suffisamment abondant pour en vivre et être le plus #mindful possible.

 

 

Génération désillusion

 

Sur internet, on le sait bien, rien ne se perd et rien ne se crée : ces farm girls 2.0 sont les dignes héritières de la tendance néo-hippie #liveinavan #traveltheworld des années 2010. La plupart d’entre elles ont d’ailleurs commencé leur carrière en ligne comme influenceuses vegan, adeptes de yoga et de voyage.

Hannah a ainsi sillonné les Etats-Unis dans un van qu’elle avait aménagé, tandis qu’Isabel, prof de yoga certifiée, est aussi réputée pour ses vidéos “what I eat in a day - vegan” pleines de recettes healthy.

 

Les années passant, un shift s’est pourtant opéré chez ces jeunes femmes, qui se sont progressivement éloignées de l’image de la it-girl parfaite pour s’intéresser davantage à des hobbies durables, comme la permaculture, le tissage ou le bricolage. Car la tendance cottagecore est avant tout le miroir de préoccupations sociales plus profondes, liées à l’écologie et aux dérives d’un capitalisme effréné.

Si les photos d’Isabel, de Hitomi et de Hannah continuent à ressembler à un feed tumblr impeccable, derrière cette vie à la montagne se dessine aussi la désillusion d’une génération en quête d’authenticité, confrontée à des crises économiques sans précédent. « Après des études en biologie, j’ai arrêté l’université parce que je ne voulais pas m’endetter pour faire quelque chose qui ne me passionnait pas tant que ça » confie Isabel à sa caméra.

 

« J’avais besoin de mener une existence qui ait du sens ». Hannah, quant à elle, a plaqué une vie de mannequin à New York pour renouer avec un quotidien plus simple. Qualifiées d’inspirantes par leur audience sans cesse grandissante, elles incarnent ainsi à la perfection nos rêves de slow life et nos questionnements existentiels.

Réinventer le métier d’influenceuse ?

 

Vlogs sur l’absence de chauffage l’hiver, les invasions de souris ou les travaux d’isolation… On est loin du lifestyle glamour généralement associé aux influenceuses. « Pas mal de monde me dit "Oh, j’aimerais trop vivre comme toi" » note Hannah dans une de ses vidéos, « mais en vrai, tout le monde n’a pas envie de faire au quotidien les choses que je dois faire pour avoir ce style de vie ».

 

Cependant, que l’on ne s’y trompe pas : derrière cette vie simple et en accord avec soi-même se cache aussi un vrai business model. Si ces néo-influenceuses ne font pas de partenariat avec des marques comme Fashion Nova ni de collabs avec Adidas, elles mettent en avant d’autres types de produits, comme BetterHelp, une appli de suivi psychologique ou Casetify, une marque de coques pour téléphones recyclables… et gagnent extrêmement bien leur vie, au point de pouvoir être propriétaires de terrains ou de plusieurs maisons (décrépies, certes, mais quand même).

Régulièrement accusées d’être entretenues par leurs parents, ces self-made-women ont aussi dû faire de la transparence monétaire un paramètre important de leur présence en ligne, sous peine de se voir décrédibilisées. Sur la chaîne de Hannah, on trouve ainsi une vidéo expliquant comment elle a financé sa vie dans un van grâce à des jobs alimentaires variés. Isabel, quant à elle, parle de la façon dont elle a enchaîné les petits boulots avant de monétiser ses vidéos.

 

Loin de rompre avec le métier d’influenceuse, elles en proposent au fond une autre vision et prouvent qu’il n’est pas seulement synonyme de consommation ou de superficialité. « La plupart des gens sur Internet ont déjà une vie idéale, et ce n’est pas très relatable… Alors que beaucoup d’entre nous aimeraient vivre différemment et sont juste coincés » analyse Isabel. « Moi, j’avais vraiment envie de documenter la transition vers cette autre vie ». Alors, tout plaquer pour vivre de feux de forêt et de partenariats éthiques, ça vous tente ?


Lena Haque