Déjà, comment vas-tu ?

 

En ce moment, c’est la galère. Côté sommeil, soit je dors trop soit je ne dors pas, et nutrition soit je mange tout le temps soit je ne mange pas. Hier je me suis fait mal au genou et je pense que c’est lié car je suis épuisée. Et niveau mental je sais pas trop où je suis, mais je sens que ça ne va pas du tout.

 

 

Comment as-tu créé @survivhante ?

 

J’ai porté plainte le lendemain de mon viol, et au comissariat on m’a donné une liste des personnes qui allaient être interrogées pour dresser mon profil (ami·es, ex…). Je ne savais pas comment leur expliquer la situation. J’avais souvent écrit des nouvelles sur des choses de ma vie, donc j’ai rédigé un petit pavé pour leur raconter ça. On m’a dit que plein de gens se reconnaîtraient dans mon récit, donc j’ai décidé de créer un compte, anonyme au début, pour le partager.

 

J’ai commencé à écrire en 2019, avec un an de procédures à retracer. A un moment, la timeline a rattrapé le moment présent et je n’avais plus qu’à attendre le procès. On m’avait envoyé beaucoup de témoignages et je faisais de la photo, donc j’ai eu l’idée de proposer aux gens de partager leur témoignage -anonyme si besoin- et de faire des shootings pour se réapproprier leur image et leur vécu. Ça a été des moments privilégiés super chouettes.

 

 

Dans tes textes, tu évoques des dysfonctionnements de la part des professionnels qui ont géré ta plainte (notamment de la culpabilisation) à l'exception de la gynécologue qui a réalisé l’expertise médicale.

 

La gynéco que j’ai vue était incroyable, hyper claire, hyper professionnelle, elle savait pourquoi elle était là. J’étais quand même nue, après un viol, devant elle, et elle a tout fait pour me rassurer. Donc c’est pas compliqué d’interroger quelqu’un qui est habillé, dans un contexte moins vulnérable. J’ai listé tout ce qui n’allait pas dans ces procédures, et je pense qu’il y a un énorme manque de conscience de la réalité de ce qu’est un traumatisme et un viol. Le policier chargé de mon dossier avait 26 ans, je crois que j’étais son premier dossier non classé.

Et je pense qu’on m’a fait peser le fait que tout le monde était débordé. Je repense à l’experte psychologique, qui continuait d’appeler mon violeur “votre ami”, qui n’avait pas lu le dossier… Il y a un énorme fossé entre ce que la police est censée faire - protéger les gens - et ce qui est fait, notamment à cause des clichés autour du viol dans notre société patriarcale. C’est quand des résultats gynécologiques en ma faveur sont arrivés qu’on m’a prise au sérieux. Ils étaient même choqués, alors que ça correspondait à mon récit.

 

 

D’ailleurs, c’est étonnant de convoquer surtout des ex - avec qui on n’a pas forcément gardé contact - dans le but de définir un profil psychologique, plutôt que des amie·s etc…

 

J’ai lu la mission donnée par la juge (ou la procureure) qui était quand même d’interroger les proches, mais on considérait beaucoup que c’était mes ex. D’ailleurs j’ai été décrite comme “la fille qui n’avait jamais eu de figure paternelle” car j’étais juste avec ma mère, mais ça ne leur est pas venu à l’esprit de me poser la question directement, alors que j’aurais pu indiquer des adultes autres que ma mère qui ont joué un rôle dans ma vie. Heureusement je suis en bon termes avec la plupart de mes exs, mais imagine si il y a une situation conflictuelle… ça peut te mettre en danger.

 

 

Tu racontes que pendant ton procès, des éléments importants du dossier (comme une expertise toxicologique) ont été écartés ou négligés.

 

Pour l’expertise de toxicologie, les jurés ont eu accès au rapport qui prouve que j’ai été droguée. Mais il était très compliqué, il a été lu par l’avocat de la défense - pas par la juge - de façon volontairement monocorde, et l’experte en toxicologie n’est pas venue le jour du procès. La juge a dit “On n’arrive pas à la joindre. Je suggère qu’on passe outre”. Et en dix secondes, ça a été bouclé et ça n’a plus été évoqué après ça, à part quand je l’ai redit à la barre.

D’ailleurs les jurés ont mal retenu des éléments du dossier, en disant par exemple que j’étais sortie à trois reprises de la chambre alors que je ne suis sortie qu’une fois pour chercher de l’aide, et n’en trouvant pas j’y suis revenue (en état de choc traumatique et droguée). Tu te dis, si ils bâclent des détails importants, le verdict risque d’être inadapté…

 

L’experte psychiatre n’a pas non plus parlé du concept de dissociation. C’est mon avocat qui a dû lui demander “Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qu’est la dissociation et est-ce que ça aurait pu arriver dans ce cas là ?” et elle a dit clairement que ça pouvait correspondre à mon cas. Il a fallu insister pour qu’elle en parle, alors que c’est hyper important dans ce genre de procès.

 

 

Malgré des éléments de preuves, le jury de la Cour d’Assises a dit “*ne pas douter de la sincérité du ressenti de la plaignante*”, mais a estimé que l’accusé n’était pas coupable. **

 

Oui. D’ailleurs pour les 3 jours de procès, je l’ai croisé constamment dans les couloirs ou les toilettes. C’était très dur, et dangereux pour moi comme pour lui. J’ai aussi parlé à des jurés d’autres affaires : ils voient passer des choses hyper violentes, ils sont traumatisés et ils n’ont été préparés à rien sur le thème de l’affaire.

Pendant le procès, ça se présentait très bien pour moi, l’avocat général avait demandé 5 ans de prison et quand la juge a demandé à l’accusé comment il se sentait d'être là, il a répondu “Je me sens coupable”. Quand la Cour a annoncé qu’il ne l’était pas, c’était un énorme choc. J’ai disjoncté, je suis sortie et j’ai essayé de sauter de la rambarde du Palais de Justice. C’est mes amis qui ont réussi à me rattraper, aucun gendarme posté n’était préparé à l’éventualité que des gens en énorme détresse sortent des salles.

 

Je me fichais qu’il aille en prison. Je voulais seulement que ce qu’il a fait soit reconnu officiellement et qu’il ne recommence pas. La plupart des victimes avec qui j’ai échangé disent la même chose.

 

 

D’après ton expérience et les témoignages que tu as récolté, quelles solutions peuvent améliorer le vécu des plaignant·es en France ?

 

En priorité, une formation des policiers et professionnels aux réalités du viol et au mécanismes de traumatisme, ce que ça peut provoquer commes comportements etc. C’est aussi très dur de devoir répéter 15 fois un récit atroce, qu’on a même pas digéré nous-même. Ce serait bien d’aménager des questionnaires pour aider à formuler, ou que les dossiers soient rédigés en une fois et relus pour de vrai par les nouvelles personnes qui traitent l’affaire.

Il faut aussi mettre en place un suivi médical et psychologique. Et même un statut spécial qui reconnaît l’impact du traumatisme sur nos vies : je dois constamment me battre avec mon conservatoire pour justifier des absences dues à mon épuisement. De base, on n’a que 3 jours d’ITT.

 

 

Après avoir traversé ces événements, qu’est-ce que tu envisages pour l’avenir ?

 

J’écris un manifeste pour interpeller la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Et depuis quelque temps, je regarde des terrains à la campagne. J’aimerais bien créer un lieu où on peut se reposer, se réunir… J’ai envie de me concentrer sur le fait de vivre, pas de manière productive, mais juste de vivre bien.

 

 

La dissociation est un mécanisme de protection neuro-biologique qui peut s’activer face à une situation de violence intense. La personne peut entrer dans un état de sidération et avoir l’impression de ne plus être dans son corps, voire agir comme si rien ne s’était passé pendant un certain temps.


Claire Roussel