First of all : c’est quoi un HPI ?

 

Il existe autant de profils de HPI que de personnes qui le sont. Être un haut potentiel intellectuel, ce n’est pas un caractère mais un type neurologique et un fonctionnement cognitif particuliers. « Et on le constate physiquement, explique la psychologue Florence Arguelles. Quand ils font une IRM, on voit très clairement que leurs connexions neuronales sont beaucoup plus nombreuses que la moyenne. » Cette particularité est souvent héréditaire et attribuée dès la naissance. « On naît HPI, on ne le devient pas. Les personnes qui vont développer leur cerveau par une hyper stimulation pourront être brillants intellectuellement mais n’auront pas les caractéristiques de celui d’un HPI. » Et autant vous dire que leur fonctionnement est plutôt badass.

 

Premièrement, ils ont une capacité de penser et de raisonner au-dessus de la moyenne et leur QI est égal ou supérieur à 130. « Le problème avec les tests de QI, c’est qu’ils ne sont pas adaptés pour eux, constate Florence Arguelles. Par exemple, le HPI peut se planter sur les épreuves de rapidité car il veut être le plus précis possible. Et ça fausse le résultat. On dit qu’il y a 2,5% de haut potentiel dans la population mais dans la pratique clinique, il y en a beaucoup plus. »

 

Autre caractéristique : la pensée arborescente. Dit comme ça, ça paraît très flou. Mais en gros, quand une personne résout un problème, elle part d’un point A et passe ensuite par B, C, D, etc. Elle a une pensée linéaire et ciblée. « Un HPI va fonctionner comme un arbre. Il pense à un problème A et ce problème va ouvrir d’autres dossiers, qui vont en ouvrir d’autres… Par exemple, quand on apprend une date historique, on retient uniquement la date. Tandis qu’un HPI va se demander comment les gens s’habillaient à cette époque, il va faire des rapprochements avec la philosophie, l’art… C’est une pensée qui fait beaucoup de liens. » Et cette pensée rapide leur donne une autre capacité : l’intuition. « On voit souvent des enfants HPI résoudre rapidement un problème sans pouvoir expliquer comment ils ont trouvé la solution. Le traitement de l’information est très rapide et pas toujours conscient. » Ils passent automatiquement de A à Z alors qu’une autre personne devra parcourir toutes les lettres pour arriver au même résultat.

Chez les HPI, tout est possible en terme de profil et de comportement : sociables, en opposition, adaptables, introvertis, extravertis… Mais beaucoup sont caractérisés par leur hypersensibilité. « Il peut y avoir une hypersensibilité d’un ou de plusieurs sens, explique la psychologue. Ils constatent le moindre changement dans une pièce, ils peuvent être perturbés par un bruit à 100 mètres que personne n’entend mais qu’ils perçoivent aussi intensément que s’il était à côté, ils peuvent ne pas supporter une matière ou un tissu... » Au-delà des sens, cette hypersensibilité peut aussi être émotionnelle. Garance a 28 ans, elle est HPI et se qualifie « d’éponge ». « Je pompe toujours les émotions de ceux qui m’entourent. Je vis avec ma mère qui est une grande angoissée et du coup je le suis h24. Mais ça nous donne l’avantage d’être très empathique. Je vois tout de suite quand une amie ne va pas bien et je sais exactement quoi dire pour la réconforter. » Mathis, 24 ans, se reconnait dans cette facilité à comprendre les autres. « L’autre avantage, c’est qu’on vit les choses fortement. Les émotions prennent un pas considérable dans le quotidien et les relations qu’on peut nouer sont intenses. »

 

Comment et pourquoi ça se diagnostique ?

 

« Aujourd’hui, ce terme est très à la mode et beaucoup de personnes se reconnaissent comme HPI mais ne le sont pas, souligne Florence Arguelles. Elles confondent leurs névroses avec ce fonctionnement particulier. » Pour éviter la confusion, une seule solution : passer un test et un entretien clinique chez un psychologue spécialisé. Plus qu’une simple confirmation, ce résultat vous aidera à mieux vous comprendre. « J’ai été diagnostiquée très tard, je devais avoir 24 ans, confie Garance. Après deux séances, ma psy m’a posé plusieurs questions avant de me dire que j’étais surdouée. Je ne savais pas ce que ça voulait dire alors j’ai commencé à lire des livres pour mieux le comprendre. Dès la première page, je me suis effondrée car je me reconnaissais dans cette description. Je pensais que j’étais en dépression, je ne parvenais pas à mettre de mot dessus. » Mathis a lui aussi passé le test tardivement. À 21 ans, durant une « période de trop ». « La démarche de le passer me semblait prétentieuse jusqu’au moment où je l’ai abordé comme un chemin thérapeutique. Quand le résultat est tombé, ça n’a pas changé grand-chose dans ma vie mais ça m’a apporté une grille de lecture sur mon comportement et mes émotions, sur ma manière de gérer le quotidien. »

 

Le sentiment d’être en décalage

 

Que ce soit dans la sphère sociale ou professionnelle, beaucoup de haut potentiel ressentent un décalage avec les autres. « Ils sont très ouverts mais se sentent différents parce qu’ils ont des pôles d’intérêt différents. Par exemple, ils ne supportent pas les conversations pour rien dire et s’ennuient souvent avec les autres quand ils parlent de choses basiques », détaille la psychologue. Garance a toujours ressenti cette différence et admet avoir des difficultés à comprendre les codes sociaux. « Quand j’étais petite, je ne m’entendais pas avec les personnes de ma génération. Aux mariages et anniversaires, je n’étais pas à la table des enfants parce que je m’ennuyais. On ne pensait pas de la même façon et je les trouvais immatures. À l’école, c’était difficile de ne pas avoir les mêmes références culturelles. À 8 ans, je parlais de Georges Brassens et j’étais passionnée de la culture anglophone alors que personne ne parlait anglais. Aujourd’hui, ce décalage est moins visible car j’ai choisi mon cercle d’amis. »

De son côté, Mathis a du mal à trouver des personnes avec qui il se sent « véritablement heureux d’échanger sans avoir l’impression de devoir expliciter des non-dits pour ne pas que {s}on discours soit simplifié. » Il explique que ce sentiment de décalage vient souvent des autres. Que ce soit à travers des réflexions, de l’humour ou des situations de conflit, il se sent incompris ou « un peu vu comme le mec bizarre ». « Nos idées vont un peu dans tous les sens et on donne une vision parfois plus atypique des choses. Elle est rarement prise en considération, ou alors beaucoup plus tard, ce qui justement est également source de frustration car avoir raison en avance, c'est avoir tort. J’ai parfois l'impression que c'est de là que vient un peu le mythe du HPI original et en marge. Pas parce qu'on se qualifie comme tel mais parce que les autres nous perçoivent comme ça. Dans les débats, chaque nuance semble fondamentale, ce qui est source de frustration car tout le monde ne les prend pas forcément en compte. Pour me faire comprendre, j'utilise souvent la comparaison de parler d'arc en ciel à une personne qui ne voit que des nuances de gris. »

 

À l’école, beaucoup se sentent en décalage car ils ne peuvent pas apprendre s’ils ne comprennent pas le sens. « En maths, on leur dit qu’ils doivent connaître telle formule mais ils vont demander : pourquoi ?, souligne Florence Arguelles. Ils ont parfois du mal à comprendre des consignes toutes bêtes intégrées par tout le monde alors qu’ils peuvent résoudre des problèmes très complexes. Ils ne peuvent pas intégrer ce qui n’a pas de sens pour eux. Dans le travail, ça peut aussi mal se passer car ils ont un sens de la perfection très poussé. S’ils sont dirigeants, ils sont très exigeants car ils voient ce que les autres ne voient pas. Ils ont souvent cinq coups d’avance. Ils vont toujours être perçus comme des emmerdeurs. Je pense qu’un HPI qui s’épanouit professionnellement, c’est celui qui travaille pour lui-même, avec d’autres HPI ou avec des personnes ouvertes qui le complètent. » À 28 ans, Garance a pris cette décision. Elle a quitté son job de libraire et elle est retournée vivre chez sa mère pour vivre de sa passion : l’écriture. « Je ne me suis jamais entendue avec mes patrons. Leurs idées me paraissaient stupides, je ne savais pas comment leur parler car j’étais beaucoup trop honnête. »

 

Superpouvoir ou super handicapant ?

 

Quand on regarde la série, on rêve d’être HPI. Un cerveau qui va à 1000 à l’heure, des problèmes qui se résolvent en deux secondes, comprendre les autres sans se faire des nœuds dans la tête… Mais après avoir échangé avec des personnes qui le vivent au quotidien, on s’est interrogé sur les limites de ce superpouvoir.

Garance, elle, le vit comme un handicap. « C’est hyper personnel mais je le vis comme un fardeau. C’est hyper dur quand on n’est pas dans la même case que les autres. Pour me faire une place, j’ai dû rentrer chez ma mère à 28 ans et vivre ma petite vie d’écrivain non publiée. Parfois, j’aimerais juste être normale. »

 

Plus nuancé, Mathis estime que c’est à la fois un superpouvoir et un handicap. « Je le vivais mal avant de le savoir car je ne comprenais pas ce qui ne tournait pas rond chez moi. Le fait d'avoir une grille de lecture sur mes émotions et mes réactions est un confort. Ça me permet aujourd'hui de nouer des relations et de me créer un entourage dans lequel je m'épanouis pleinement. Mais le HPI ne rend pas malheureux et n'est en rien une fatalité. De nombreuses personnes le sont et n'ont jamais eu envie ou besoin d'aller voir un psy, elles sont parfaitement heureuses. »

 

Et la série dans tout ça ? Cliché or not cliché ? Si Garance a apprécié l’histoire et l’a trouvée divertissante, elle ne s’est pas reconnue dans le personnage d’Audrey Fleurot. « C’est une caricature. Après, les traits de caractère sont exagérés pour les biens de la narration. Mais plus qu’une HPI, c’est un véritable génie. Elle dépasse les 160 de QI. ». Mathis est lui aussi mitigé mais se reconnait dans le côté empathique et intuitif de Morgane Alvaro. « J’ai l’impression que le personnage résume un peu les fantasmes autour des HPI. J’ai peur que ça empêche des personnes de passer le test car ils se diront qu’ils ne sont pas HPI sous prétexte de ne pas pouvoir retenir un roman à la lettre près et en une seule lecture. » Pour la psychologue Florence Arguelles, le personnage est certes caricatural mais représentatif d’une certaine réalité. « Elle s’est créé toute une image extravagante et fantasque qui lui donne de l’assurance et c’est assez typique des HPI. Ils se cachent souvent derrière un personnage. »

 

 

Si vous êtes intéressé·e par le sujet, nos experts vous conseillent de lire Rayures et Ratures de Chloé Romengas ou encore Trop intelligent pour être heureux ? L'adulte surdoué de Jeanne Siaud-Facchin pour aller plus loin.


 

Agathe Renac