Le come back de la maigreur

 

Bye bye booty : Heroin chic is back” (bye bye les fesses, l'Héroïne chic est de retour). Punchline tirée de nos pires cauchemars ? Et non, titre very real d’un article du New York Post. Pour les personnes qui n’ont pas connu les 90’s, l'Héroïne chic est une esthétique glorifiant la maigreur extrême voire l’anorexie, la peau pâle, les cernes, le visage osseux… des traits qui évoquent l’abus de drogues dures, popularisés par la modèle héroïnomane Gia Carangi puis par Kate Moss. By the way, la glamourisation des corps féminins fragiles, malades et maigres, ça remonte au 19e siècle avec le romantisme, à une période claquée au sol niveau droits des femmes. Bref, c’est que du fun. (Pour en savoir plus, écoutez Les sacrifiées du romantisme, du podcast Vénus s’épilait-elle la chatte ?).

Aussi problématique qu’il soit, le titre du New York Post touche juste : à la Fashion Week d’octobre, les modèles étaient très maigres malgré les avancées body positive des dernières années. La faute en partie à la mode Y2K, venue après l'Héroïne chic, qui glorifiait encore l'extrême minceur dans les années 2000 et qui fait rage en 2022. Si des membres de la Gen Z se réapproprient sa vibe - strass, velours, taille basse, mini jupe - en y apportant une bonne dose d’inclusivité, ça n’est pas le cas des marques mainstream. Certaines essayent même de jouer sur des valeurs féministes et inclusives, avec zéro efforts concrets.

 

Très énervée - on la comprend -, l'actrice et activiste Jameela Jamil a mis les choses au clair sur Insta. « Non. Nous avons essayé ça dans les années 90 et des millions de personnes ont développé des Troubles du Comportement Alimentaire. J’en ai eu un pendant vingt ans. On ne va pas refaire ça, on ne revient pas en arrière. Nos corps ne sont pas des tendances, nos morphologies ne sont pas des tendances. Fuck off ».

Nouvelle campagne Coperni sortie le 1er décembre 2022

 

 

Qu’une trend incite à prendre ou à perdre du poids, modifier son corps pour matcher une esthétique est toujours un mauvais plan. Nos morphos fluctuent selon les périodes de notre vie, mais chacun·e a un métabolisme de base qui n’est pas fait pour s’adapter à volonté. En plus des TCA, les modifications intensives peuvent être mortelles : le Brazilian Butt Lift, très populaire pour avoir un “Instagram Body” - morphologie rarissime au naturel avec des gros seins, une mini taille et des très grosses fesses -, a le taux de mortalité le plus élevé de toutes les opérations de chirurgie esthétique.

 

 

De l’Heroin chic aux Insta Bodies, des dynamiques racistes

 

Autre mécanisme qui vient s’ajouter à ce bazar : le racisme. Indeed, les critères de l’esthétique Héroïne chic sont occidentalo-centrés (peau pâle, traits fins…). Pire encore, utiliser nos corps pour suivre des trends peut directement nourrir l’appropriation culturelle. On vous explique : avec la tendance du Instagram Body, et notamment les fesses très rebondies, on crée une hype autour de traits corporels qui concernent de nombreuses femmes racisées, habituellement clashées pour ces mêmes traits. Sauf que cette “appréciation” est fétichisante et éphémère (c’est très bien détaillé dans ce post d’Âme Assitan).

 

Par exemple, Kim Kardashian - américaine d’origine arménienne - a profité de cette hype en modelant son corps et en empruntant de nombreux codes ou apparences des cultures noires (avec des coiffures, des shootings, et des blackfaces). Elle a pu profiter de l’aura “cool” autour de ces cultures, et maintenant que la mode repart vers des tendances codées “blanches”, elle adopte une nouvelle esthétique, qui va jusqu’à son corps très aminci.

 

Pourquoi on vous raconte ça ? Parce que ce ça illustre parfaitement l’appropriation culturelle dénoncée par de nombreuses communautés racisées : on prend des caractéristiques d’un groupe discriminé, et quand la mode est passée, on peut les laisser tomber pour changer de style, ou carrément de corps.

 

Les groupes marginalisés auront vu leur capital culturel utilisé sans reconnaissance ou compensation, et devront continuer à gérer des oppressions - dont celleux qui piquent leur style ne sont pas victimes - une fois la hype redescendue.

 

 

Le corps, un accessoire comme un autre ?

 

Avec cette histoire, nos corps sont traités comme des atouts sur lesquels capitaliser, avec un peu de vernis patriarcal et colonial en prime. Si les vêtements ou le make up ont toujours servi des esthétiques, considérer nos corps comme des tendances pousse cette rentabilisation à l’extrême. Ils ne sont plus une part de nous - alors que littéralement, sans eux, on est mort·es - mais des symboles de réussite sociale.

Mais où est l'intérêt de nous faire croire ça ? C’est la même mécanique que pour les tendances de fringues : envoyer le message qu’il faut constamment changer pour être “à la mode”, ça permet à des industries de se faire un paquet de thunes. En l'occurrence, celles de la beauté et du régime, aidées par la mode, dénonce Jameela Jamil.

 

Dans nos sociétés capitalistes, ce calcul déshumanisant n’est pas nouveau : la mode est passée d'Héroïne chic à - faussement - body positive dans les années 2010, et elle repart dans un autre sens en ce moment. Mais cette fois, la trend est rejetée grâce aux efforts de certains médias et activistes, comme Jameela Jamil again (checkez son podcast I WEIGH). Et en attendant que les industries captent le problème, on sera là pour dire une 1001e fois que non, nos corps ne sont pas des trends.


Claire Roussel