Et je ne suis pas la seule : une nouvelle génération constituée de personnes qui se sont socialement construites en tant que femmes ont décidé de se réapproprier ce terme avec fierté. Je ne prétends (surtout) pas être leur porte-parole. Mais quand même : je vous raconte mon histoire avec la sorcellerie. Vous me suivez ?


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Comment j’ai raté mon examen de sorcellerie

 

Je vais vous faire une confidence pour commencer : je n’ai jamais lu l’inévitable Sorcières de Mona Chollet. Il est posé, là, sur mon bureau depuis qu’on me l’a offert à sa sortie. Et j’ai beau avoir lu tous les livres de l’autrice (dont certains sont des bibles pour moi), celui-là, je ne l’ai pas ouvert.

 

Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être parce qu’on en avait trop parlé, peut-être parce qu’il me faisait peur (non), peut-être aussi parce que, comme chaque livre, il attend patiemment son moment.

 

Tout ça pour vous dire que si vous faites partie de la large team de celleux qui ont mis leur nez dans cet essai (oc)culte, vous pourriez bien avoir l’impression de lire quelqu’un qui croit avoir inventé le fil à couper le beurre en découvrant cette chronique. Veuillez donc par avance m’en excuser, merci.

 

Je précise également en préambule que je suis la sorcière que je suis. C’est-à-dire : autoproclamée et bancale. Premièrement, je ne suis pas de celles qui ouvrent leur Wicca, et parfois l’odeur du bois de santal m’insupporte. Deuxièmement, le seul sortilège que j’ai jamais lancé a consisté à faire brûler le nom de Macron et de Le Pen dans le fond de mon évier au moment des élections présidentielles (vous voyez que ça a très bien marché). Pour finir (et pire encore), je ne connais rien aux plantes, et quand j’ai mes règles sponso endométriose, je snobe les feuilles de sauge pour m’envoyer un comprimé de Tramadol.

 

Bref. J’aime à penser qu’il n’y a pas qu’une seule manière d’être sorcière. Et encore heureux. Maintenant que c’est dit, venez : je vous raconte.

Qui veut être une sorcière ?

 

On nous apprend dès toute petite qu’il vaut mieux être la princesse plutôt que la sorcière. Celle qui fait douce, gentille, sympa (et belle, en plus). Pas celle qui fait littéralement peur à tout le monde.

 

Personnellement, à l’époque, je n’ai jamais voulu être une princesse (vraiment pas). Je ne cherchais d’ailleurs pas à être une sorcière non plus, mais quand même : quand on m’a offert à l’âge de mes 5 ans un petit nécessaire pour faire semblant de faire le ménage (vive le sexisme), je me souviens que je me servais de la tapette à poussière qui était fournie dans le bazar comme d’une baguette magique.

 

Après, au moment de mon adolescence, Harry Potter a débarqué dans le game et je ne m’identifiais pas spécialement à Hermione non plus. J’étais trop pétasse et elle était trop intello. Il n’existait pas de rôle à occuper entre les deux. À part celui, peut-être, que j’allais m’inventer.

 

Je ne le savais pas encore à ce moment-là, mais je n’étais pas seule. Et je le sais aujourd’hui quand soudain, au détour d’une rue, sur la façade d’un immeuble, j'aperçois un slogan qui flotte avec défi et fierté : « Nous sommes les petites filles des sorcières que vous n’avez pas pu brûler. »

 

Je ne prétends pas ici retracer l’histoire de la sorcière et vous expliquer pourquoi c’est un terme que je trouve particulièrement adapté aujourd’hui à ce que Mona Chollet a très justement appelé “la puissance invaincue des femmes” (ouais, j’ai lu le titre). Non, ce que je veux faire ici, c’est vous raconter mon histoire, la mienne, avec ce mot, ce terme - cette identité je dirais même. Et la manière dont je l’ai liée, en quelque sorte, à ma féminité.

La sorcière fém

 

Une sorcière est, par définition, quelqu’un qui a du pouvoir. Et le premier pouvoir que je me suis découvert, en ce qui me concerne, c’était celui de la séduction et de l’apparente réaction des hommes qui, face à moi, semblaient prêts à tout pour « m’obtenir ».

 

Très vite, j'ai donc fait de ma féminité un char d’assaut. J’avais maladroitement compris que c’était une espèce de pouvoir qui pouvait me permettre d’attirer l’attention des autres, et donc de m’en rapprocher.

 

Mais il n’y avait pas que ça : il y avait aussi le fait que j’adorais tout simplement m’habiller de manière extravagante. Que je parlais fort. Que je prenais de la place. Ce que je n’avais pas compris, en revanche, c’est que, comme un sortilège dont on ne maîtrise pas la formule, il allait se retourner contre moi.

 

Et c’est comme ça que je suis devenue une sorcière pour la première fois. Car sans pour autant le conscientiser (je prenais juste cher, tbh), j’ai compris à ce moment-là qu’il fallait, pour être acceptée, que je minore ma puissance et ma fierceness. Que la performance que je faisais de ma féminité et de ma personne, faisait de moi quelqu’un qui n’avait pas sa place au pays des « il faut être gentille et douce et s’habiller sagement ». Bref : je suis devenue une espèce de sorcière-pétasse, une mise au ban, une à-qui-il-ne-faut-pas-parler.

 

Mais bon. Je n’étais pas (encore vraiment) une sorcière. Ou plutôt, pour le devenir, j’allais devoir morfler encore un peu (aka attendre de découvrir le féminisme). Pourquoi je vous parle de tout ça ? Parce que la figure de la sorcière a bien des points communs avec celle de la femme fatale. Elle est dangereuse, puissante, sachante, vénéneuse, capable de tuer, d’user de ses charmes pour « détruire les hommes » (ouin-ouin). D’ailleurs, et c’est intéressant de le souligner, le mot « charme » et le mot « sortilège » ont le même sens étymologiquement.

Pouvoir, mon beau pouvoir

 

Il y a une autre manière de voir ce pouvoir - et c’est un peu proche de l’identité de celles qu’on appelle les « fem » (à la base, les lesbiennes qui adoptaient des codes vestimentaires très féminins et donc décriés car assimilés aux codes patriarcaux).

 

Je suis justement de la team de celleux qui disent que si le féminisme prône la liberté d’être, surjouer sa féminité ne devrait en aucun cas poser un problème - que ce soit pour être une militante radicale ou une sorcière à plein temps. Précisément parce que performer sa féminité consiste à détourner des outils patriarcaux pour pouvoir reprendre le pouvoir (et est-ce que la sorcière n’est pas un symbole de pouvoir ? Si).

 

En revanche, je vous arrête tout de suite : je suis plutôt contre tous les termes et mythologies associées au “féminin sacré” dans la mesure où ils sont bien souvent essentialistes et transphobes. Ce n’est pas le fait d’être de “sexe féminin” qui fait de moi la sorcière que je suis. C’est le fait de m’être appropriée mon genre, d’avoir choisi de faire de ma féminité une performance. Le fait qu’il y ait une forme de magie que je sente monter en moi quand je sors habillée comme une reine et que mon envie de jouer avec le vêtement dépasse ma peur de me faire remettre à la place que d’autres auraient choisie pour moi.

 

Dans une autre chronique, je racontais que j’avais galéré avec ma féminité. Aujourd’hui, je m’habille avec l’arrogance de celles qui ne veulent pas plaire, qui se glissent entre les portes du vouloir être soi et de ne pas (trop) vouloir être vue. Mais bien sûr, il n’y a pas que sur la question de la performance que je fais de ma féminité qu’il faut s’attarder si on veut comprendre pourquoi je m’appelle sorcière auto-proclamémement. Parlons-en.

Le CV idéal

 

Ça ne fait pas longtemps que je considère que je suis une sorcière. Pourtant, une fois que je me suis appropriée ce mot, le chemin à faire pour en justifier l’emploi s’est avéré être clairement évident.

 

J’ai grandi au milieu des tirages de cartes de ma mère, de ma tante, des récits de ma grand-mère qui avait vu une voyante, des signes astrologiques dont ma mère me parlait sans cesse et qui, selon elle, en disaient long de chez long sur les gens.

 

Côté maternel, la pratique de la sorcellerie (ou la culture de la sorcellité - ouais, j’invente des mots) est donc évidente. D'ailleurs, mon grand-père était magnétiseur et avait monté une entreprise de vente de pendules. Côté paternel, ma grand-mère comme ma tante savent entrer en transe quand elles dansent (je précise qu’elles sont sobres), et un oncle éloigné, lui, marche carrément sur le feu sans se brûler. Vous voyez le tableau.

 

Je précise (s’il le faut) que je n’invente rien. Je ne voyais même pas tous les rapports que l’on pouvait tisser entre ces éléments avant très récemment. Mais évidemment, avec un tel entourage, je me suis très jeune et très naturellement intéressée aux cartes, à l’astrologie, à la numérologie. Puis, en 2018, l’une de mes tantes est décédée et j'ai hérité de son Oracle de Belline - exactement le même que celui de ma mère et de ma grand-mère.

 

D’ailleurs, en écrivant cette chronique, j’ai repensé à tous ces moments privilégiés que j’ai vécu avec ma mère grâce aux lectures de cartes depuis mon adolescence. C’étaient des moments de confidence, de partage, d’intimité. C’était (et ça l’est encore aujourd’hui), des moments où ma mère prenait le temps d’apprendre à mieux me connaître et à me conseiller. C’étaient des moments magiques.

 

Bref. Je ne dis pas que j’ai le CV idéal pour m’auto-proclamer sorcière. D’ailleurs, ce n’est pas pour justifier ma “sorcellité” que j’invoque mes aïeux·les. Je veux simplement dire que je suis une sorcière qui a eu de la chance. Car on a laissé de la place, dans mon monde, à l’imaginaire, à l’inexplicable, au magique. Et que les cartes (mon Oracle de Belline, pour commencer, puis d’autres jeux que j’ai maintenant comme celui de la Triade), m’ont apporté ce que je voulais y trouver : du soin. De l’intérêt pour moi. Du partage avec les autres - celleux pour lesquel·les je fais des séances de lecture de cartes, comme ma mère le faisait pour moi.

Faire de la magie blanche

 

Je suis une sorcière rien que pour ça : parce qu’utiliser ces outils pour faire du (self) care est révolutionnaire. Parce que c’est révolutionnaire de dire que les outils et mythologies qui nous ont été donnés pour vivre ne nous conviennent pas, et que nous revendiquons le droit à en inventer d’autres. Y compris d’autres modes de vie. Et pour moi, c’est réel et palpable : j’ai parfois (souvent) trouvé bien plus de réponses et de manières de cheminer et de me remettre en question en me tirant les cartes qu’en allant faire une séance de psychanalyse.

 

Dans la préface du si cool livre Le guide pratique du féminisme divinatoire de Camille Ducellier, Starhawk (qui a bien connu les connexions entre les courants féministes et les pratiques spirituelles dès les années 60) dit : « Et nous avons adopté le terme 'Sorcière'; en partie parce que le choc qu’il provoquait dans l’esprit des personnes les forçait à penser en-dehors des perceptions conventionnelles du spirituel. Sorcières était aussi une façon de nous identifier avec et de nous réapproprier les femmes - et les hommes - persécuté·e·s, pendu·e·s et brûlé·e·s comme sorcier·e·s tout au long des XVIe et XVIIe siècles en Europe. »

 

Que dire de plus quand tout est dit ? En lisant cet ouvrage (que je ne saurais que trop chaleureusement vous recommander), j’ai eu une espèce d’épiphanie politico-ensorcelée. J’ai réalisé que personne ne pouvait jauger ou juger de ce que j'avais envie d’appeler ma « sorcellité ».

Parce que la sorcellité, c’est aussi magique que la sorcellerie pour moi. C’est-à-dire qu’à mon avis, faire de la magie blanche, c’est inventer des outils politiques. C’est réinventer le langage pour le rendre plus inclusif. C’est créer des œuvres dont la force de frappe est si puissante qu’elles bouleversent le monde. C’est choisir des modes de lutte et de combat politique qui prônent d’autres valeurs que celles qui sont mises en avant par le patriarcat (qui lui, si on file la métaphore, fait carrément de la magie noire).

 

Donc oui, pour celleux qui se poseraient la question : je considère que l’on peut être cartésien·ne et se sentir sorcière. Je crois même que l’on n’a même pas besoin de se définir comme sorcière pour en être un·e.

 

Bref. J’aime à me dire que je suis, que nous sommes sorcières, aussi parce que nous pratiquons une forme de magie - qui est celle de transformer patiemment le monde. Nos outils sont souvent politiques. Ça tombe bien : les sorcières ont le droit de vote.

La vie dans les marges

 

Pétasse candide. Neuroatypique. Bélier ascendant Verseau, Lune en Verseau : avec un tel bagage (lourd, faut bien l’avouer), j’avais toutes les chances de finir sur le banc des marginaux. Celui où l’on croise d’autres sorcières. Pas de celles qui abusent de leur pouvoir, plutôt de celles qui se font abuser. Jusqu’à ce que.

 

Toute ma vie, j’ai rencontré des gens bizarres, des à-côté-de-la-plaque, des hypersensibles, des lumineux ébréchés. Car ces gens sont ma famille. Et c’est en ça que je suis une sorcière. Que je leur ressemble. Car je suis une queer, une survivante, une femme, une fem, une qui n’a plus envie de baisser la tête. Une astrologue improvisée, une tireuse de cartes acharnée, une militante qui fait de la magie blanche.

 

Les sorcièr·es que je connais sont discrèt·es. Pour la plupart, si iels acceptent le terme politiquement, elles entretiennent une ambiguïté dans leur rapport à ce ce qualificatif. Par humilité, souvent, que je me dis. Ou parce que ça fait partie de quelque chose de plus grand que ça encore. Le pouvoir. Celui que nous avons. Celui dont nous faisons la conquête. Celui que nous défendons.

 

Alors c’est peut-être ça, le fond du sujet : l’empouvoirement que c’est, pour moi, de vous dire que je suis une sorcière. D’oser prendre le risque de faire peur. De refuser d’avoir peur. Parce que j’ai eu trop souvent peur, et que je veux que les rôles s’inversent. Que la peur change de camp.

 

Sarah