Pourquoi le thème du Met Gala 2023 est claqué au sol
ou comment célébrer le sexisme et la grossophobie oklm
C’est bientôt le 1er mai. En France, ça veut dire journée off (parce qu’on ne déconne pas avec les acquis sociaux), mais pour les fashion, c’est l’une des dates les plus importantes de l’année : celle du Met Gala. Organisé par Vogue magazine, sa boss Anna Wintour et le Metropolitan Museum of Art à New-York, cet event permet de lever des fonds pour le musée en organisant une énorme soirée. Au programme : dîner fancy et tapis rouge blindé de stars, qui doivent se fringuer en accord avec le thème de l’expo mode du Met. Sauf que, l’expo 2023 est dédiée au travail et à la personne de Karl Lagerfeld. Et l’hommage à de quoi faire bugger…
Générateur de facepalm
On ne peut pas le nier : Karl Lagerfeld a eu une influence stratosphérique sur la mode. Directeur de Chanel pendant 35 ans, il bossait aussi chez Fendi et pour sa marque éponyme jusqu’à sa mort. Mais ce designer, tout aussi mythique soit-il, a aussi collectionné les propos problématiques tout au long de sa carrière.
Connaît-on une personnalité plus ouvertement grossophobe dans la mode ? On vous laisse juger : « Personne ne veut voir de femmes rondes (...) Il y a des grosses femmes avec leurs paquets de chips devant la télévision qui disent que les mannequins minces sont laides. La mode, c'est le rêve et l'illusion. » disait-il au magazine allemand Focus. Réputé pour son obsession avec les régimes, Lagerfeld a clairement aidé à décomplexer la grossophobie de l'industrie.
Parce qu’il n’allait pas s'arrêter en si bon chemin, le designer était aussi anti Me-Too (vous avez bien lu). Dans un entretien à Numéro en 2018, il a condamné les rares femmes qui osaient parler dans la mode : « Si vous ne voulez pas qu’on vous tire sur la culotte, ne devenez pas mannequin ! Rejoignez plutôt l’Union des Ursulines, il y aura toujours une place pour vous au couvent. » Avant d'enchaîner avec une déclaration sur les mannequins masculins, qu’il affirme détester : « Avec leurs accusations de harcèlement, ils sont désormais devenus toxiques. Non, non, non, ne me laissez surtout pas seul avec l’une de ces sordides créatures. »
En apprenant qu’il était honoré au Met Gala 2023, l’activiste et actrice Jameela Jamil a aussi rappelé ses prises de positions homophobes et racistes. Voyez le tableau...
Le coeur du problème
Si on veut gagner au bingo du cringe, Lagerfeld est la personne idéale. Ce qui rend le choix de Vogue et du Met d’autant plus discutable. Le magazine n’essaye même pas de passer par l’argument “séparons l'œuvre de l’artiste décédé”.
La soirée se veut littéralement « la célébration de l’entièreté de l'œuvre et de la vie de Karl Lagerfeld » selon Vogue US. Loin d’être passée sous silence, sa personnalité est à l’honneur dans cet event à l’impact impressionnant : #MetGala cumule 1,8 millions de posts sur Insta et 10,4 milliards de vues sur TikTok. Venant d’une industrie encore très grossophobe - 95,6% des modèles étaient straight size à la dernière Fashion Week (et faisaient donc une taille 32 ou 34)- et où Me Too peine à émerger, ça pique.
Cherry on the cake, Karl Lagerfeld était réputé pour valoriser un rythme de travail intenable (« Chez Chanel, j’ai un contrat de quatre collections annuelles – deux de prêt-à-porter et deux de haute couture – mais, finalement, j’en fais dix. ») et pour clasher ses collègues qui étaient en burn out total à cause du rythme des marques, genre Raf Simons chez Dior ou Azzedine Alaïa. Grosse ambiance.
Si on récap’, il n’y a aucune nuance ou mise en perspective du personnage qui a contribué à des dynamiques violentes encore présentes dans la mode. Jameela Jamil résume : « Désolée, mais non. Ce n'est pas les années 90. Nous n'avons pas combattu toute cette merde, juste pour tout jeter par la fenêtre parce qu'un mec blanc a fait des jolis vêtements pour des personnes maigres... ».
Here we go again
Le Met Gala n’en est pas à son premier drama. Déjà en septembre 2021, son édition post pandémie était sujette à controverse. Notamment quand l’actrice et mannequin Indya Moore avait qualifié l’événement de « dissonance cognitive » quelques jours après sa participation. La raison : une manifestation Black Lives Matter se tenait aux abords du Met Gala pour critiquer son opulence et plusieurs manifestant·es ont été arreté·es, « probablement parce qu'ils étaient perçus comme une menace pour ceux d'entre nous qui étaient là » selon Moore.
Clairement, ça la fout mal pour une industrie qui essaye de s’aligner -au moins en apparence- sur les enjeux de son époque. « Nous levons des millions pour un musée, sur une terre volée où les personnes racisées souffrent à moins que la suprématie blanche ne les trouve exceptionnels, mais pas pour les gens ? Ne pouvons-nous pas être vraiment généreux de façon à alléger la souffrance et la pauvreté ? » se demandait l’actrice. Obviously, ces questions ont fait le tour des réseaux sociaux.
Un manque de réactivité face aux enjeux de notre époque regrettable quand il y a des tonnes de créateur.ices de talent à honorer comme Virgil Abloh, Vivienne Westwood, Thierry Mugler… Et une jeune garde stylée et engagée à base d’Ester Manas, de Collina Strada ou de Marine Serre. Bref, la mode a un avenir brillant, et elle ferait bien de ne pas rester accrochée à tout prix au passé.
Claire Roussel